Sous ce dernier titre, le Voltaire raconte un fait qui s'est passé sur nos côtes et qui va prochainement faire l'objet d'une question au gouvernement lorsque viendra la discussion des recettes des douanes:
Il s'agit d'un pêcheur de Groix, M, Baron, patron du dundee Clovis, qui entrait dernièrement dans le port de Saint-Nazaire avec un chargement de 180.000 sardines, qu'il avait prises dans les parages de Douarnenez. La douane de Saint-Nazaire, on ne sait pourquoi, estima que ces sardines pouvaient bien être d'origine espagnole, et voulait confisquer la cargaison. Toutefois, en présence des protestations de Baron, on se contenta de lui faire signer un papier dont il ne comprit pas l'importance, étant illettré. Par cet acte, Baron s'en remettait du soin de reconnaître la provenance exacte de sa pêche à trois experts de Paris.
Ce fut une véritable comédie. On expédia à ces experts quelques douzaines de sardines et gravement, ces messieurs, après avoir examiné d'un œil méfiant ces poissons suspects, les avoir palpés, retournés, soupesés, les firent rôtir, frire et bouillir et l'examen juridique se termina par une dégustation dans les règles. Après déglutition parfaite et un moment de recueillement, les trois augures décidèrent que les sardines étaient espagnoles. Copie de cette décision fut envoyée à Saint-Nazaire où Baron ahuri offrit de faire entendre tous ses camarades qui avaient vu le Clovis tirer des bordées de Morgat à Douarnenez, de Camaret à la pointe du Raz, et lui en personne, à son bord, halant, draguant, chalutant. Rien n'y fit.
Il eut beau essayer de faire comprendre à cette impitoyable douane que la sardine est en si grand quantité sur les côtes de Bretagne, qu'elle se vend à peine quatre ou six sous le cent, et qu'il aurait subi une grande perte en consacrant une semaine au voyage en Espagne,
|
il fut condamné par le juge de paix de Saint-Nazaire à 125 francs d'amende plus le paiement des droits qui montaient à 1.250 francs; les frais de procédure s'élevaient à 50 francs. Le chargement fut, en outre, confisqué mais laissé à Baron pour une somme de 2.825 fr.
Baron ne comprit rien à cette condamnation ; pour en finir, il paya la somme de 1.325 francs montant de l'amende, des droits et des frais ; puis mettant à la voile, il partit se croyant enfin quitte avec le Trésor.
Hélas ! Baron n'en était qu'au commencement de ses tribulations. A quelque temps de là, ayant débarqué sur le quai du port de La Rochelle, il fut harponné par deux gendarmes et conduit en prison en vertu d'une contrainte par corps, dont la durée est d'un an pour le non-paiement de la somme de 2.825 francs, valeur estimée de son chargement de poisson.
Nous ne saurions douter une minute de la bonne foi des experts qui ont causé tous ces malheurs, mais nous sommes obligés de convenir que rien ne ressemble plus à une sardine espagnole qu'une sardine française qui nous arrive des eaux d'Espagne ou peut-être même des eaux américaines.
C'est ce que nos pêcheurs bretons appellent la sardine « d'Annhor » ou sardine du large dont on ne connaît pas la provenance. Et alors pourquoi ne pas admettre ce pauvre Baron à faire la preuve de l'origine de son poisson ?
Mais non, il était écrit que Baron serait ruiné, mis en prison pendant un an pour être allé vendre à Saint-Nazaire, des sardines prises à Douarnenez et que sa femme et ses enfants resteraient pendant ce temps sans ressources.
Il est vrai que le fisc est satisfait. Force est resté à la loi.
Les experts avaient dit que les sardines étaient espagnoles.
|
 |