Les sinistres maritimes ont été nombreux pendant le mois de décembre et la tempête a causé bien des ruines, frappé bien des existences ; mais d'héroïques dévouements se sont produits qu'il est bon de faire connaître. La Liberté présenta le rapide et émouvant tableau des prodiges accomplis par les sauveteurs:
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Citons enfin la station de Camaret, dont l'équipage, sorti trois fois dans le coup de vent du 29 novembre, vient, par son dernier sauvetage, de s'élever au premier rang des sauveteurs maritimes.
Nous sommes ici dans l'Iroise, dans cette mer parsemée d'écueils redoutables, traversée par des courants violents. Il est six heures du matin, on aperçoit un feu au milieu des brisants qui bordent la grève de Penhoat; une obscurité profonde enveloppe encore les terres; le vent souffle en foudre de l'ouest variant au nord-ouest dans des grains affreux, chassant devant eux des tourbillons de neige. La mer baisse, et le courant de jusant, allant à l'encontre des lames, les rend plus creuses, plus mauvaises encore; les passes de Camaret n'offrent à l'œil qu'un immense brisant.
Sans hésiter, animé de cette froide intrépidité dont nos populations maritimes nous ont donné tant de preuves, le patron Pierre Meillard prend deux jours de vivres pour ses hommes et fait lancer l'embarcation ; dans la mise à l'eau, une avarie a lieu au gouvernail; on la répare, c'est une demi-heure de perdue, l'ouragan augmente de violence; enfin le canot quitte le port et cherche à s'élever au vent le long de terre, pour atteindre le rocher du Toulinguet; de là, il ne lui faudra plus que quelques minutes pour arriver au navire en détresse, qui n'a que ses chaînes pour chance de salut.
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Mais, par le travers de Port-Neil, l'embarcation, assaillie par un grain d'une violence inouïe, tombe en travers; le patron mouille son ancre, le canot chasse et est rejeté à plus d'un mille sous le vent; les voiles sont orientées et l'embarcation se dirige vers la haute mer ; la grande voile est emportée, il ne lui reste plus que sa misaine.
Le jour paraît enfin. Le navire en détresse est un grand brick prussien, le Cito; son pavillon est en berne; l'équipage, monté dans les haubans assiste aux efforts de nos braves canotiers. Mais la mer baisse; les premières têtes de roches se montrent ; quelques minutes encore et le brick sera brisé. Le canot a disparu dans les grandes lames ; il n'y a plus un moment à perdre. Dans ce moment suprême, le capitaine prussien file ses chaînes, hisse le foc, vient en travers, met sa chaloupe à la mer, et au moment où le Cito va se briser sur les roches, une lame énorme enlève la chaloupe et dépose sur le sable l'équipage sain et sauf.
La Providence, qui avait protégé les naufragés, veillait aussi sur nos marins; après quatre heures de lutte contre les éléments déchainés, ils atteignirent la roche. De terre on leur signala qu'il n'y avait plus rien à faire au large; ils redoublèrent ce cap qui leur avait demandé tant d'efforts; à onze heures, ils étaient à Camaret.
A deux heures du matin, ils reprenaient la mer pour sauver l'équipage du lougre français l'Alcide. A huit heures, ils sortaient encore et recueillaient les huit hommes qui se trouvaient à bord de la goëlette française la Jeune-Hermine. |
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