Mort du poète Saint-Pol-Roux

Saint-Pol-Roux le Magnifique, le grand poète et le grand honnête homme, est mort hier, à l'hospice civil de Brest, après quelques jours de maladie*.
C'est à Saint-Henry, dans la banlieue de Marseille, qu'il était né en 1861. Venu jeune à Paris, il fonde, avec quelques amis, la Pléiade, une petite revue qui pût en son temps, paraître incendiaire, vécut d'ailleurs à peu près ce que vivent les roses, mais amorça quand même un mouvement considérable qui s'est continué par la publication du Mercure de France.
Les réunions se tenaient, raconte quelque part Maurice Maeterlinck, à la brasserie Pousset, faubourg Montmartre. On y rencontrait souvent Villiers de llsle Adam, Saint-Pol-Roux, Catulle Mendês, Pierre Quillard, Rodophe Darzens...
C'est l'époque où Saint-Pol-Roux étonne ses contemporains par la truculence de son verbe et la « magnificence » de ses habits.
Mêlé jusqu'en 1895 à l'ardente vie du Paris des Lettres, il publie successivement : L'âme noire du prieur blanc, légende; les Epilogues des saisons humaines, drame en trois parties et le premier volume des Reposoirs de la procession.
Puis brusquement, il s'isole, passe deux ans dans la forêt des Ardennes et y écrit sa tragédie La dame à la faulx. Epris de plus de solitude encore, il vient s'installer à Roscanvel, dans une chaumière il y travaille sept ans. Deux nouveaux drames, encore inédits, y prirent forme : La dame en or et Les pêcheurs de sardines, ainsi que la plupart des poèmes qui composent les deux derniers volumes des Reposoirs de la procession.
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Enfin, son ami Charles Cottet le détermina, voici quelque trente ans, à se fixer définitivement à Camaret, en un manoir planté sur son roc, face à la grève et à l'Océan, d'où le poète ne sortait presque jamais, heureux de s'abandonner sans réserves aux trois bonnes fées qui l'avaient amené en cet âpre coin de Bretagne : la Beauté, la Solitude et le Bonheur qu'il connaissait alors, près de sa femme et de ses enfants.
Mais Paris ne l'oubliait pas. En 1909, un jour que d'aventure il vint faire constater à ses amis qu'il était toujours en vie, quatre générations littéraires tinrent à l'honneur d'assister au banquet qui lui fut offert sous la présidence de Léon Dierx et qui eut la bonne fortune de réunir, pour un soir, les plus glorieux écrivains de l'époque.
Saint-Pol-Roux ne voulut jamais flagorner les puissants et ne réussit pas à forcer les portes de la gloire.
Après la grande guerre, il fut frappé de deuils cruels. Il connut des jours sombres et fut même réduit à la dure extrémité de vendre ses autographes, ses chers bibelots, compagnons de ses heures de peine et de joie.
Saint-Pol-Roux, en même temps qu'un grand poète, était une âme belle et tendre. Malgré la modicité de ses ressources, il secourait discrètement les infortunes et se plaisait à venir, chaque année, en « Père Noël », apporter jeux et friandises aux enfants des pêcheurs camaretois. Il avait, jusqu'à ces derniers temps, conservées sa belle tête de lion et ses yeux étrangement doux et profonds.
La Dépêche eut la bonne fortune de publier plusieurs de ses remarquables poèmes en prose et applaudit, il y a quelques années, à son accession à la présidence de l'Académie Mallarmé et à sa nomination dans la Légion d'honneur.
Ses amis bretons, le comité des Jeux floraux de Bretagne qu'il présidait effectivement chaque année, aux Amis des Arts, les autres sociétés auxquelles, à maintes reprises, il voulut bien prêter l'appui de son nom prestigieux, se concerteront bientôt pour honorer comme il convient sa mémoire.
Nous prions sa fille Divine et la famille d'agréer l'expression de nos condoléances et de nos sincères regrets.
M. Le Gorgeu, sénateur-maire, et M. Lullien, premier adjoint, sont allés hier, à la fin de l'après-midi, saluer le corps du regretté poète, qui sera inhumé à Camaret, et présenter leurs condoléances à Mlle Saint-Pol-Roux. |
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