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1907
Une semaine à bicyclette sur les routes de Cornouailles

extrait de La Revue mensuelle du Touring-club de France

 

 

Journal de route

Jeudi 12 juillet. — Départ de Paris, gare Montparnasse, 8 h. 21 soir.

 

 

Vendredi 13. — Nous nous réveillons, vers 6 heures du matin, aux environs de Landerneau. Le pays est vert et frais. Les prairies qui bordent l'Elorn sont déjà pleines de troupeaux de petites vaches bretonnes. « Pourquoi qu'ici les vaches sont des veaux ? » disait, l'an dernier, ici même, mon petit garçon. — A 7 h. 1/2 passées, avec un retard d'une heure environ, nous arrivons à Brest. Vite au fourgon. Un chef de gare obligeant nous fait rapidement délivrer valises et bicyclettes. On met les valises sur une voiture à bras. Nous filons à bicyclette vers l'embarcadère du bateau qui va au Fret. Le bateau que nous comptions prendre est parti. Mais il y en a un autre à 10 heures.

C'est parfait. Nous laissons valises et bicyclettes, nous allons à pied flâner sur le pont tournant, à la Recouvrance, au cours Dajot, et au plus haut des fortifications. Rade immense, port militaire, arsenaux, vieux château, murailles de granit, vaisseaux de guerre, marins, soldats, indigènes en costumes du pays, petit groupe d'Ouessantines en robes de drap noir, cheveux courts et bonnet cubique, tout cela a de la couleur locale et de l'originalité, et nous emportons de Brest une vision rapide mais assez saisissante.

A 10 heures nous prenons notre bateau pour le Fret. Une brume épaisse nous enveloppe, et ses fines goutelettes ne font l'affaire ni de notre désir de voir le paysage, ni de notre désir de pédaler dans la presqu'île de Crozon. — En sommes nous ne voyons guère, durant cette traversée d'une heure, que le ciel gris, la mer grise, et, de temps en temps, déchirant le voile du brouillard, une pointe de terre ou de rochers : là-bas la pointe de l'Armorique, devant elle l'île Ronde, et, s'avançant vers le Goulet, la Pointe des Espagnols, nous disent les marins.

 

 

Vers 11 heures nous arrivons au Fret. Nous confions nos valises à l'omnibus du Grand-Hôtel de Morgat, et, malgré la brume, qui d'ailleurs s'éclaircit, nous pédalons vers Camaret. La route traverse des landes d'ajonc — la vraie lande bretonne, avec son charme mélancolique et pénétrant — au delà desquelles, par échappées, on aperçoit la mer. — Un peu avant de descendre sur Camaret une petite route si tentante s'offre à nous sur la droite que nous la prenons, et nous arrivons soudainement à une sorte de sentier de corniche qui domine l'anse du Camaret, et, par delà, le Goulet de Brest, et, à droite, le cap étroit et escarpé qui se termine à la pointe des Espagnols. Ces libres détours et leurs surprises sont le charme du voyage à bicyclette.

 

 

A Camaret — petit port coquettement niché au creux d'une falaise pour le plaisir des touristes — nous déjeunons, de bon appétit et très agréablement, dehors, devant l'Hôtel de France, que nous choisissons parce que c'est celui du Touring.

Malheureusement, au dessert, la brume revient, et se change même en pluie, pluie fine, mais qui rouille les bicyclettes, mouille les bicyclistes, et obscurcit les horizons. — Nous avions l'intention d'aller, de Camaret, à la pointe de Toulinguet et à celle de Pen-Hir. Force nous est de renoncer à celle-ci, et nous nous contentons d'aller à pied, drapés dans nos pèlerines, à celle de Toulinguet, arête balayée par le vent, rochers abrupts descendant jusqu'à la mer que nous cachent les nuages de pluie. Nous voyons mal, nous devinons seulement la sauvage beauté de cette côte, où le gardien d'un sémaphore avec qui nous causons nous raconte fièrement que « M. Antoine, d'un théâtre de Paris », a bâti là une maison.

Nous reprenons nos bicyclettes à Camaret et nous roulons vers Morgat, presque sans rien voir, mouillés comme des canards et crottés comme des barbets. A Morgat, excellent hôtel (Péchin, successeur de Pia). Plaisir de se sécher, de bien dîner, et de rentrer dans la civilisation par la lecture des journaux.

 

 

Samedi 14 juillet. — Au réveil, vers 5 h. 1 /2 du matin, la brume est toujours là. Mais le vent, hier de « surroît », a tourné au « norroît », ce qui est bon signe. — Le premier déjeuner pris, nous embarquons dans le petit voilier de l'hôtel, pour les grottes. Il y en a six ou sept, que nos marins nous font voir avec amour, en finissant par les plus belles. — Et c'est un éblouissement. — Sauf au lac des Quatre-Cantons, et autres perles des lacs suisses, on ne saurait, je crois, trouver nulle part une eau aussi merveilleusement limpide et profonde à la fois, d'un ton bleu plus exquis, que celle qui s'engouffre dans les cavernes immenses creusées au pied des falaises de Cador et de Rullianec. « Ce n'est pas », dit Le Braz avec sa justesse habituelle, « sans un frisson de crainte superstitieuse que l'on franchit l'entrée. On se demande si on ne viole pas je ne sais quel mystère auguste et redoutable. Si vaste que soit le silence, on le sent habité par une présence invisible, et tout vibrant encore d'un écho qui viendrait de s'assoupir. Les images légendaires s'évoquent tout naturellement, s'imposent d'elles-mêmes à l'esprit le moins poétique, devant la surhumaine, la prestigieuse majesté de ce décor. Des ruissellements de pierres précieuses semblent couler le long des parois et ces voûtes sombres, chaque jour éclaboussées et si souvent battues par la vague, s'embrasent de tous les feux d'une mosaïque invraisemblable : granit rose et rouge sang, vert émeraude, jaune orangé, violet d'améthyste. »

 

 

Notre retour à la plage de Morgat n'est guère moins féerique : nous l'avions quittée tout enveloppée d'une brume qui en laissait les contours indistincts. Pendant que nous naviguions dans les cavernes le soleil avait percé les nuages, le vent les avait balayés. Nous découvrons presque soudainement une anse de sable fin encadrée par des rochers immenses. Au-dessus, au fond de l'anse, le jardin ombragé de l'hôtel Péchin, la colline verdoyante de Crozon. A l'opposé, l'immense nappe bleue de la baie de Douarnenez qui apparaît comme cerclée par un rivage lointain.

 

 

Nous sommes si enthousiasmés de notre promenade que nous demandons aux marins si nous ne pourrions pas la refaire à la marée du soir, après le dîner. Ils nous répondent que oui, si la mer continue d'être calme, et avec des torches. Nous rentrons à l'hôtel, nous prions Mme Péchin d'organiser pour le mieux notre expédition du soir, nous déjeunons rapidement et nous partons à bicyclette, à midi, pour le Cap de la Chèvre.

« On se croît d'abord en plein désert, dit Le Braz. Le défilé des monotones croupes chauves semble devoir se prolonger indéfiniment, jusqu'aux derniers confins de l'étendue. Et, tout à coup, cela s'arrête net, comme dans un sursaut de bête cabrée. La falaise dévale à pic dans l'abîme. »

Nous n'avons pas, comme Le Braz, cette impression de désert, parce qu'en cette journée de samedi, 14 juillet, il y a marché à Crozon, et que nous croisons ou dépassons quantité de carrioles et de piétons qui y viennent ou en repartent. Tous les hommes ont le gilet à deux rangs de boutons, le chapeau à grands rubans de velours noir flottant. Toutes les femmes, même les plus jeunes, — et il y en a de fort gentilles — sont en noir, avec le joli bonnet blanc brodé. Signe particulier : elles portent toutes un panier, noir comme leur costume.

Nous avons, en arrivant à l'extrémité du cap, l'impression d'un continent qui finit. Un coup de soleil vient à point faire étinceler le golfe d'eau incomparablement bleue qui s'arrondit entre Morgat et Douarnenez en une courbe parfaite — et, plus loin, l'infini de la mer.

A l'extrémité du cap, il y a un sémaphore. Le petit bâtiment bas et son grand mât à signaux sont entourés d'un petit mur en pierres sèches, et dans l'enceinte de gazon brûlé par les tempêtes s'ébat un véritable troupeau de lapins. — L'un des deux gardiens nous reçoit avec la cordialité digne et tranquille des Bretons. Il a sept enfants vivants ; — il vient d'en perdre un, et nous en parle avec la tristesse résignée propre aux marins et aux paysans. — Il nous conseille, si nous avons du temps, de descendre au bas de la falaise voir les grottes de la Chèvre, qu'il dit aussi belles que celles de Morgat, et visibles à pied. C'est l'affaire d'une heure. — Il nous donne comme guide un de ses enfants, une timide petite fille d'une douzaine d'années.

La descente est assez difficile, par un sentier de montagnards, qui sert aux ramasseurs de goémons. — Les grottes n'ont rien de comparable à celles de Morgat. Mais la vue, du pied des rochers, à gauche du cap sur le golfe, à droite du cap sur la pleine mer et sur une autre série de découpures rocheuses, la pointe de Dinant, celle de Pen-Hir et le Tas de Pois, est admirable. — En regrimpant, par un autre sentier plus raide encore que le premier, incident : mon mari perd son chapeau. Un coup de vent l'emporte au bord extrême de la falaise. Nous le croyons perdu. Nous prévenons le gardien du sémaphore, qui le rattrape à l'aide d'un croc... et d'une agilité d'ancien marin. Remontés chez lui il nous offre des rafraîchissements, et nous avons peine à lui faire accepter une rétribution que lui et sa petite fille ont bien gagnée.

Cependant le soleil baisse à l'horizon. Nous reprenons nos bicyclettes, et nous roulons vers la pointe de Dinant.

Nous longeons d'abord la même crête qu'en venant, mais les jeux changeants de la lumière nous en font mieux valoir la beauté, nous ménagent une échappée d'une splendeur unique sur l'infini bleu de la mer. — Nous plongeons dans un ravin peuplé de roches qu'on pourrait prendre pour des troupeaux de bêtes pétrifiées. Nous gravissons une côte caillouteuse et âpre, par une route qui serpente dans un pays nu, tourmenté, battu d'un flot sauvage auquel les falaises déchiquetées du rivage paraissent opposer un rempart de granit. — Un gamin pieds nus court après nous, nous engage à laisser nos bicyclettes à la garde d'un de ses camarades, et nous emmène jusqu'à l'extrémité du promontoire. Un massif rocheux, escarpé, en forme de burg en ruines, est relié à la terre par une sorte de fort naturel, percé de deux arches, l'une presque ogivale, l'autre en plein cintre, et d'une régularité remarquable : c'est le Château de Dinant.

Nous repartons au moment où la brume s'amasse et commence à nous cacher les horizons lointains, la pointe du Raz à gauche, l'immensité bleue de la mer devant nous, et, plus près, à droite, la pointe de Pen Hir et le groupe d'îlots rocheux, les Tas de Pois, qui semble la prolonger.

Nous rentrons rapidement à Morgat où nous dînons, et où notre hôtesse nous annonce que notre idée d'aller aux grottes, le soir, à la lueur des torches, a paru si séduisante à beaucoup des pensionnaires de l'hôtel qu'ils demandent à se joindre à nous, et que nous serons au moins quatorze, en deux bateaux. — A la nuit close, vers 9 heures du soir, les bateaux sont prêts. — Les 12 touristes qui nous accompagnent ont bien fait les choses : des cordes sont tendues, d'un mât à l'autre, au-dessus de chacun des deux bateaux, et des lampions tricolores y sont accrochés. Nous partons. Nous naviguons vers la grotte de l'Autel, la plus grande des grottes, où deux grands bateaux, à marée haute, peuvent virer et circuler à l'aise. Dès l'entrée on éteint les lampions. On entre dans une obscurité mystérieuse et fantastique, que raye, sous la rame qui les frappe en cadence, l'éclair des vagues phosphorescentes. On va poser des feux de Bengale sur la pierre de l'Autel — un rocher qui s'élève comme un îlot au milieu de la grotte.

On allume les feux de Bengale, et la grotte tout entière étincelle. — Des deux barques, en chœur, s'élève un chant religieux, une sorte de cantique grave et solennel, puis, triomphalement, la Marseillaise. — Les feux de Bengale s'éteignent. On lance quelques fusées. Elles n'éclairent que par intervalles les larges traînées rouges, les veines de nuances éclatantes qui descendent de la voûte jusqu'aux flots, et elles laissent dans l'ombre les fissures sombres qui coupent le granit. — Les marins allument leurs torches. — On jette un peu d'huile enflammée sur l'autel, et tandis qu'on sort de la grotte et qu'on s'éloigne vers la baie on voit briller comme une étoile étrange, par l'orifice étroit de la grotte, cette lueur vaporeuse ainsi laissée dans les entrailles de la falaise.

C'est la fin d'une belle journée. — L'effet féerique de cette visite originale avait dépassé l'attente de tous.

Dimanche 15 juillet. — Réveil dans la brume. Mais les marins nous promettent le retour prochain du beau temps. Nous expédions donc nos bagages par le bateau qui fait le service de Morgat à Douarnenez à partir du 15 juillet. Nous partons, à bicyclette, par Crozon et Telgruc. Au pied du Menez Hom, nous nous arrêtons. [...]

 

 

 

Source : Revue mensuelle du Touring-Club de France d'octobre 1907 sur Gallica


 

 

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