(De notre envoyé spécial)
Camaret, 4 avril,
Au lieu dit le Notic, à Camaret, habitaient deux marins pêcheurs : le père Pierre P., 55 ans, et le fils, Jules P. 26 ans. Ivrognes invétérés, de fréquentes disputes éclataient entre eux.
Mardi soir, vers huit heures, le fils rentra chez lui tellement gris, qu'il dut prier une voisine, Mme Com, 41 ans, de vouloir bien lui rendre le service d'allumer sa lampe.
Mme Com était à peine revenue chez elle, que le père, en complet état d'ébriété, poussa la porte et apparut, vacillant sur le seuil : « Venez donc voir mon fils, dit-il, je ne sais pas ce qu'il a ». Mme Com ne put en tirer autre chose : la langue pâteuse, il marmonnait des paroles inintelligibles.
Accompagnée d'une voisine, Mme Angèle Normand, Mme Com se rendit alors dans l'appartement que les P. occupaient au premier étage d'une petite maison. Un spectacle horrible l'attendait.
Au milieu de la chambre à coucher, Jules P., simplement vêtu d'un pantalon et d'un tricot, gisait dans une mare de sang. Il était mort. Terrifiées, les deux femmes appelèrent à l'aide. La première personne qui survint fut Pierre P. qui, avec sérénité, alla s'allonger sur son lit et ne tarda pas à s'endormir d'un sommeil paisible.
Les voisins arrivèrent enfin. On releva le cadavre, on l'étendit avec précaution sur un lit : le tricot écarté laissa voir une plaie béante où quelques gouttes de sang perlaient encore.
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Le maire de Camaret, M. Le Garrec, immédiatement avisé, télégraphia sans retard à la brigade de gendarmerie de Crozon. Le maréchal des logis Pronost, accompagné du gendarme Cadet, se rendirent sur les lieux le lendemain matin, à quatre heures. Le garde champêtre, qui avait passé la nuit dans la maison du crime montra aux représentants de l'autorité Pierre P., toujours assoupi, à deux pas du cadavre sanglant de son fils.
Réveillé par le maréchal des logis Pronost, l'ivrogne prétendit que son fils, après lui avoir cherché querelle, lui avait porté des coups de poing dans le dos. Pierre P. s'arma alors de son couteau mais, dit-il, dans la seule intention d'effrayer son fils : ce dernier se serait enferré lui-même sur la lame.
Informé télégraphiquement par la gendarmerie, le parquet de Châteaulin pria M. Tranouez, notaire et juge de paix suppléant de Crozon, d'ouvrir une enquête. Le magistrat, accompagné du docteur Keranguyader, arriva à Camaret hier.
L'autopsie du cadavre démontra que Jules P. avait eu le cœur perforé de part en part. Conduit à Crozon, où il a passé la nuit d'hier, le meurtrier a été écroué ce matin à Châteaulin, sans avoir manifesté la moindre émotion.
Les obsèques de la victime ont eu lieu ce matin à Camaret. La municipalité et de nombreux habitants suivaient la dépouille mortelle. |
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