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Puis, tout à coup, au-dessus de l'eau, de hauts panaches de fumées noires; bientôt les cheminées, la coque des vaisseaux, enfin la blanche écume soulevée le long de leurs flancs par la marche rapide.
C'est l'armée navale.
Du côté de Morgat, toutes les bonnes places sont prises à terre. Il y a là bon nombre de Brestois juchés, la lorgnette à la main, entre les ruines d'un vieux manoir, perché en nid d'aigle sur le sommet du roc.
Ce sont les mieux placés.
L'armée navale apparaît, marchant d'abord à une vitesse qui semble considérable, puis ralentissant sa marche, car elle n'est plus qu'à un ou deux milles de terre, les torpilleurs piquant presque leur nez blanc dans les terres du féal seigneur de ces lieux, l'ami Piat, surnommé par toute une école d'artistes, peintres, romanciers et chroniqueurs, le « Père des arts ». [...]
L'armée navale arrive; elle marche comme « un seul homme » et, comme un seul homme aussi, s'arrête subitement aussitôt le signal venu du vaisseau commandant la manœuvre.
Le mouillage à Morgat
De la terre, les spectateurs ne peuvent s'empêcher d'applaudir la manœuvre de mouillage ; toutes les ancres des trente ou quarante vaisseaux tombent à la fois, avec un sourd roulement de chaînes le long des murs d'acier. Un vieil adjudant d'infanterie de ligne, qui se trouve là, s'écrie :
— C'est comme le reposez vos armes !
Et, en effet, toutes les crosses, pardon ! toutes les ancres tombent simultanément.
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— V'là qui est manœuvré ! dit un vieux marin, à la face rôtie par les embruns et le soleil.
Et maintenant, voici tous les énormes vaisseaux « en place repos ». On entend du rivage les coups de sifflet, les appels de clairon. Les pavillons montent et descendent le long des mâts, multipliant les signaux. Une embarcation se détache du Brennus, menant l'amiral Fournier à bord du Bouvet ; puis une autre sort des flancs du Masséna. C'est sans doute le commandant de l'escadre du Nord qui va, lui aussi, prendre les ordres de l'amiralissime.
Quelques embarcations venues de terre accostent les vaisseaux. On est reçu facilement à bord, surtout si l'on a un parent parmi les officiers ou
l'équipage. Il se confirme par toutes les bouches qu'aucun accident ne s'est produit depuis le commencement des manœuvres.
L'entraînement des équipages est admirable. Les fatigues ne comptent pour rien. Une grande partie de la nuit précédente a été passée en manœuvres de défense contre les torpilleurs ; on a marché encore, marché toujours jusqu'à aujourd'hui, mais qu'importe ! Nous apprenons, d'ailleurs, que durant une partie de la nuit prochaine auront lieu les mêmes exercices contre les torpilleurs.
Au moment où nous quittons Morgat, l'armée navale est placée sur trois rangs, les trois vaisseaux amiraux occupant la ligne centrale; l'escadre légère est embossée, nous dit-on, du côté de Douarnenez, mais on ne l'aperçoit pas. [...] |
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