Audience du 24 octobre 1917.
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4e affaire - Incendie volontaire.
Il y a fagots et fagots ; il y a allumettes et allumettes.
Il y a des fagots qui flambent et d’autres qui ne flambent pas. Il y a des allumettes qui prennent et d’autres qui ne prennent pas. Celles-ci sont même en majorité.
Le malheur a voulu qu’une seule et unique allumette, jetée le 6 septembre dernier par le sieur Mével, à 9 heures et demie du soir, sur un tas de fagots de lande, mit le feu au tas, qui se mit à flamber avec allégresse.
Or ce tas appartenait au sieur Losques, beau-frère du sieur Mével. Ce tas était voisin d’un tas de paille, qui aurait pu brûler si le vent « y était ». Ce tas de paille était voisin d’une petite maison appartenant au sieur Losques, qui était voisine de celle appartenant au sieur Mével. Tout cela aurait pu brûler, si le vent « y était » et le feu aurait pu gagner, de proche en proche, le palais de justice de Quimper.
Mais le vent « n’y était pas ». Seuls les fagots brûlèrent ; il y en eut pour 200 francs.
Ce pourquoi M. Mével, retraité de la marine, fort honnête homme en tous points, âgé de 62 ans, apporte sur le banc d’infamie sa tête de vieux brave homme à la barbe blanche bien soignée, la tête de Blanqui, celle d’un « petit vieux bien propre ».
Pourquoi, dans quel but Mével a-t-il mis le feu aux fagots de son beau-frère? Nul ne peut le dire ; lui tout le premier n’en sait rien.
D. — Aviez-vous de l'animosité contre votre beau-frère ?
R. — Non, monsieur le Président.
D. — Vous n’étiez pas jaloux de lui ?
R. — Non, monsieur le Président.
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D. — Pas mal avec lui ?
R. — Non, monsieur le Président.
D. — Vous reconnaissez avoir mis le feu aux fagots. Pourquoi ?
R. — Je ne sais pas, monsieur le Président.
D. — Vous ne savez pas ?
R. — Pas du tout, monsieur le Président.
Et le dialogue continue ainsi pendant longtemps, M. le Président Rigaud voulant absolument faire dire à Mével une chose qu’il ignore. Nous étions trop loin, — moralement et réellement, — de M. le Président des Assises pour lui souffler à l’oreille que peut-être bien Mével, qui buvait un petit coup de temps en temps depuis la mort de sa femme, avait hélas ! ce jour-là, bu ce petit coup et n’était pas très conscient de ce qu’il faisait.
Mais le défilé des témoins était commencé. Losques, le propriétaire des fagots, ignore, comme tout le monde, le pourquoi de l ’attentat. Il se déclare très bien avec son beau-frère, mais d’un ton qui laisse quelques doutes. Les autres, tous du village de Penaros en Roscanvel, où se passait la chose, n’ont rien de saillant à dire, non plus que l’enseigne de vaisseau qui commandait le piquet d’incendie envoyé sur les lieux.
M. le substitut Brouard requiert une peine légère ; il se conterait de six jours de prison.
Me de Kerangal plaide avec conviction la cause de l'honnête criminel. Et le jury, qui n’aime pas beaucoup les incendiaires, rapportant un verdict de culpabilité mitigé par les circonstances atténuantes, la Cour condamne Mével à 2 ans de prison avec sursis et 200 francs d'amende. |
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