La perte du dundee « Linois » de Camaret
Le tribunal maritime commercial spécial, présidé par M. le commandant de Kerros, président, et composé de MM. Coatélant, juge au tribunal de commerce; Barnabas, lieutenant de vaisseau; Hervé et Stéphan capitaines au long-cours, s'est réuni hier matin à 9 h. 30.
M. le capitaine de corvette Winter a occupé le siège du commissaire rapporteur, et M. Bellec, commis principal de l'Inscription maritime, celui de greffier.
Le patron Louis Le Mignon, 32 ans, né à Crozon, avait à répondre de la perte du dundee « Linois » de Camaret, qu'il commandait, survenue le 17 septembre 1922 à dix milles dans le nord-ouest de Longship (côtes anglaises de Cornouailles) après avoir été abordé par le vapeur américain « Tuscaloosa-City », de New-York.
Trois hommes ont péri.
Dans la nuit du 16 au 17 septembre 1922, le « Linois », jaugeant 24 tonneaux 42, armé à la pêche à la langouste, monté par cinq hommes d'équipage et un mousse, se trouvait « en cape sèche « sur les lieux de pêche, à dix milles dans le nord-ouest de Longship.
Le temps était brumeux avec éclaircies, durant lesquelles on distinguait faiblement un feu à cent mètres.
Sur l'ordre du patron Mignon, des signaux phoniques par cornet de brume étaient faits régulièrement. Il était 4 h. 15 du matin. Le « Linois » avait un feu blanc à l'avant. Tout à coup, l'homme de quart, Jules Cornec, cria : « Debout, nous allons être abordés. Tout le monde sur le pont ! » Le patron et les autres hommes du dundee aperçurent alors un gros vapeur, par tribord, à environ 40 mètres.
Le patron prit la barre et tenta de manœuvrer pour éviter l'abordage : les hommes crièrent; mais le vapeur, qui marchait à bonne vitesse, coupa par le travers le « Linois », qui coula aussitôt.
Le navire abordeur stoppa, mit une embarcation à la mer, lança une couronne de sauvetage aux naufragés, puis continua sa route vers l'ouest.
Cependant, le dundee « Petit Grillon », de Camaret, qui pêchait non loin du « Linois », partait au secours des naufragés. Le patron Le Mignon réussit à s'accrocher à la couronne de sauvetage lancée par le vapeur abordeur et qui portait l'inscription : « Tuscaloosa-City, New-York ». Le matelot Joseph Boucharé fut recueilli par le canot du « Petit Grillon », ainsi que le mousse Jacques Lagadec.
Les trois rescapés furent débarqués à Newlyn.
Les matelots Cornec (Jules), Laouénan (Jean) et Pennec (Pierre) ont disparu.
Rien n'avait pu être sauvé à bord du « Linois ».
Le dundee abordé aurait dû avoir à son bord, en dehors du feu blanc, le feu vert et le feu rouge réglementaires prescrits par le règlement du 20 février 1897 ayant pour objet de prévenir les abordages en mer.
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Il n'a pas fait non plus, quand il a aperçu le navire abordeur, usage du feu provisoire prévu par le même règlement et qui doit être utilisé dans certains cas pour attirer l'attention.
Le sous-secrétariat de la marine marchande a estimé, dans ces circonstances, que le patron Le Mignon a commis une faute grave et que c'est celle-ci qui a entraîné la perte de son bateau. Il a, en conséquence, décidé son renvoi devant le tribunal maritime commercial spécial par application de l'article 2 de la loi du 10 mars 1891, qui prévoit dans ce cas, puisqu'il y a eu la mort d'une ou de plusieurs personnes, une amende 50 à 1.000 francs, un emprisonnement de 15 jours à 6 mois et le retrait de la faculté de commander pour trois ans au plus.
L'inobservation des règlements reprochée au patron Le Mignon ne cesse, paraît-il, constamment d'être commise par tous les pêcheurs langoustiers ou autres de Camaret, etc. qui se considèrent comme mouillés lorsqu'ils sont en cape et qui ne portent pas les feux réglementaires. L'inspection de la navigation s'est énergiquement élevée contre cette façon de procéder.
Le « Linois » appartenait à M. Lastenet, de Camaret, Il avait 11 ans d'existence et n'était assuré à « Garantie », de Camaret, que pour une somme de 6.030 francs. M. Lastenet a ainsi subi une grande perte. Le patron Le Mignon a reconnu à l'audience que le « Linois » n'avait pas, au moment de l'abordage, les feux réglementaires; mais il a prétendu qu'il avait eu ceux-ci pendant la nuit. Le matin, vers 4 heures, au changement de quart et le jour ayant, commencé à poindre, il n'avait conservé à bord de son bateau que le feu blanc.
M. le capitaine de corvette Winter s'est énergiquement élevé contre la très regrettable façon de procéder des pêcheurs langoustiers et autres de Camaret qui, pour économiser un peu de pétrole, ne munissent pas leurs bateaux des feux réglementaires. Il a demandé au tribunal de retenir la responsabilité du patron Le Mignon et de le condamner à une peine empreinte d'une certaine bienveillance, mais qui sera une leçon donnée à tous les pêcheurs langoustiers de nos côtes.
M. Pellé, rédacteur en chef de la « Bretagne commerciale », a présenté la défense du patron Le Mignon.
Le tribunal, par 4 vois contre 1, a reconnu le patron Le Mignon coupable et l'a condamné à trois jours de prison et à 50 francs d'amende avec sursis. |
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