Camaret. 27 octobre, — Notre correspondant nous écrit :
L'épidémie cholérique semble bien cette fois nous avoir définitivement quittés. M. le docteur Vincent est parti ce matin avec ses deux infirmiers, Prigent et Mazé, pour rentrer à Brest.
On sait quel dévouement et quel zèle ces messieurs ont mis dans l'accomplissement de leur tâche. M. le maire a tenu, avant leur départ, à leur donner un témoignage public de la reconnaissance de la population.
Il les a invités à un dîner d'adieu, et pour donner à cette manifestation sympathique le plus d'éclat possible, il a convié le Conseil municipal, les agents de la marine, les chefs de la douane, MM. les instituteurs, le maître du port et quelques notables personnes de la localité.
Hier, à huit heures du soir, tout le monde était réuni à l'hôtel de Mme Dorso. M. Garrec, maire, avait à sa droite M. Morin, commissaire de l'Inscription maritime, à sa gauche, M. le docteur Vincent, et M. l'adjoint-maire. La plus grande cordialité s'est immédiatement établie entre les convives.
Au Champagne, M. le maire a porté un toast à MM. les docteurs Négadel, Le Floch et Vincent, ainsi qu'aux quartiers-maîtres infirmiers. Il leur a dit toute sa reconnaissance et celle de ses concitoyens et leur a adressé les plus sincères remerciements.
M. le docteur Vincent, que les convives ont écouté debout, a répondu à peu près en ces termes en s'adressant à la municipalité et aux convives :
« Au nom de mes prédécesseurs, MM. Négadel et Le Floch, et en mon nom propre, je vous remercie de l'expression de vos sympathies. Nous avons fait ce que nous avons pu, aidés par deux infirmiers très zélés. De votre côté, vous avez, par votre attitude énergique, rassuré la population.
Vous avez visité les cholériques, donnant aux uns l'espoir, aux autres des secours ; ce qui était bien nécessaire parfois. En vous voyant agir, avec cette fermeté et cet a-propos, je songeais à une ville d'Espagne où je me suis trouvé, il y a quelques années, et qui avait été atteinte comme la vôtre par le fléau cholérique.
« Dès les premiers cas, les autorités s'enfuirent.
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Quelques personnes tentèrent une ébauche de défense contre l'épidémie. On promena, dans les rues, des marmites où brûlait du soufre. Mais les porteurs, incommodés par les vapeurs sulfureuses, mettaient dans les marmites le moins possible de ce désinfectant. On employa aussi les pyrites sulfureux, qu'on faisait brûler devant les façades des maisons après avoir préalablement consigné les habitants à l'intérieur.
« Plus heureux que ces habitants, vous avez eu une étuve à désinfection qui a rendu d'incalculables services. Vous avez beaucoup fait. Mais il faut encore veiller et vous rappeler les enseignements que laisse la terrible épidémie qui a frappé 207 personnes et en a fait succomber 66.
« Cette épidémie a d'abord atteint les maisons malpropres, insalubres. Elle a épargné les maisons bien tenues. Peu d'enfants et peu de vieillards ont été frappés par le fléau. Ce sont les adultes qui ont fourni le plus grand nombre de victimes et cela, parce que, se croyant forts contre le mal, ils n'ont pas pris toutes les précautions nécessaires.
« Il y en a d'urgentes à prendre, et vous les prendrez, pour empêcher le réveil possible des germes cholériques, soit l'année prochaine, soit plus tard. »
Après ce discours, des toasts ont été portés à M. le vicaire Caroff, pour le dévouement constant dont il a fait preuve pendant l'épidémie; à M. le docteur Le Borgne, notre sympathique député, qui s'est véritablement multiplié en donnant des soins aux cholériques, et enfin à la municipalité de Camaret.
Une quête faite parmi les convives a produit 22 fr.75. Cette somme a été remise à M. le maire pour être distribuée aux pauvres.
Il convient de signaler parmi les personnes qui ont donné leurs soins aux cholériques, et qui ont été oubliées dans la manifestation sympathique d'hier soir, M. le docteur Louboutin. Nuit et jour appelé par télégramme (il en a reçu jusqu'à dix dans la même journée), il s'est véritablement prodigué. Je compte, du reste, vous donner bientôt une liste complète des personnes qui ont montré le plus de dévouement au milieu des rudes épreuves que nous venons de traverser. |
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