CAMARET, 21 décembre. — On nous écrit: Nos patrons ont, depuis une quinzaine de jours, renoncé à chercher la sardine de rogue ; ils sortent chaque soir avec des filets de dérive ; cette dernière pêche est très irrégulière. Certaines soirées donnent jusqu'à 12.000 à quelques bateaux, mais, la plupart du temps, ils ne rapportent que des douzaines, et les plus heureux de 2 à 600. Le poisson se vend à raison de 16 fr. le mille.
Des bateaux de Douarnenez viennent ici chaque jour avec de la sardine pêchée en rade de Brest. Leur présence est cause de la baisse des prix qui étaient, avant leur venue, de 22 à 25 fr. Personne ne proteste. C'est la liberté de l'offre et de la demande, et ce serait bien, s'il en était de même chez les Douarnenistes. Mais il s'y passe tout le contraire.
Il y a un mois, le bateau l'Arche-d'Alliance, de Camaret, patron Sévellec, se rendit à Douarnenez pour y vendre 15.000 sardines pêchées dans notre baie; il fut reçu à coups de pierres et prévenu que, s'il vendait sa sardine en ville,
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on la jetterait à la mer. Grâce à l'intervention d'un sieur Cornic, le patron Sévellec put mettre sa sardine en paniers et l'expédier par la voie ferrée sur les places de l'intérieur.
Voilà comment les Douarnenistes entendent la liberté.
Il en est de même en pêche. Lorsque l'un de nos patrons lève le poisson — du moins en cette saison — dix bateaux se jettent sur lui, lancent leurs filets à un mètre du sien et parfois même dessus ; ils prodiguent alors la rogue à pleines mains pour attirer le poisson dans leurs engins.
Un de nos patrons nous a raconté que, surpris ainsi par une foule de Douarnenistes qui était tombée sur lui, il dut mettre deux de ses hommes à la préparation de la rogue ; il n'avait ainsi qu'à la lancer toute hachée et ce ne fut qu'à ce prix qu'il conserva la sardine près de son filet. Il n'est plus retourné en rade de Brest. C'est ainsi que les « Anglais de la pêche », comme on appelle ici les Douarnenistes, restent maîtres du terrain, ou plutôt de la mer. |
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