Le courrier d'Amérique en avance de près de 24 heures sur l'horaire de distribution. Ce record a été réussi par un hydravion qui, quittant le paquebot "Ile de France" en route vers la France, à un millier de kilomètres des côtes, arriva cet après-midi au Bourget avec les lettres et colis.

Le déchargement des colis et des lettres au Bourget.
(légende et photo : agence de presse Meurisse)
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Mais, le 14 septembre 1928...

Dépêche de Brest, le 17/9/1928
Comment le langoustier Roc'h-ar-Mor
sauva l'avion de l'Ile-de-France
Une pêche inattendue — Un homme à la mer
L'arrivée du Boulonnais
La remorque casse — A bon port
Camaret, 16. — Étienne Vigouroux, 31 ans, patron du Roc'h-ar-Mor, est aussi bon père de famille qu'il est bon marin. Nous l'avons trouvé hier chez lui, dans une des maisons du quai Toudouze ; il se levait de table et se préparait pour une promenade avec les siens.
— Comment j'ai sauvé l'hydravion de l'Ile-de-France ? nous dit-il ; je vais vous le raconter.
« Je revenais de la pêche à la langouste sur les côtes anglaises. Mauvaise morte-eau ; quelque deux cents kilos de crustacés dans la cale de mon côtre après dix jours de labeur. Nous allions doubler notre campagne avant de rentrer à Camaret et nous cherchions, dans le suroît de Bishop, des chalutiers anglais susceptibles de nous céder des grondins — la boëte habituelle de nos casiers — lorsque, vendredi dernier, vers 4 heures du matin, l'homme de quart, Louis Sévellec, nous réveilla.
« Branlebas ! Tout l'monde su'l'pont ! » criait-il.
« Sous le vent à nous, Sévellec venait de repérer une épave étrange : une masse sombre surmontée d'une antenne de T. S. F. « Un sous-marin », pensâmes-nous d'abord ; mais, nous approchant, nous reconnûmes un hydravion.
« J'arrivai sur lui en cornant afin d'attirer l'attention des occupants, mais rien ne me répondit : l'avion était-il abandonné ?
« Notre canot mis à l'eau, j'y montai avec deux de mes matelots. Un fort clapot allait contrarier l'accostage. Joseph Goyat, qui m'accompagnait, fut même précipité à la mer et passa sous l'appareil. Non sans peine nous le repêchâmes, puis après une brève inspection de l'avion, à bord duquel rien ne vivait, nous le prîmes en remorque au moyen de nos toulines ; aucun « bout », en effet, à bord de l'épave.
« Cette opération nous demanda deux heures de travail. Après quoi, je fis route au sud-suroit. Les « toulines » amarrées à notre mât permettaient au Roc'h-ar-Mor de manœuvrer aisément, sans que l'hydravion souffrît. Le remorquage s'effectuant bien, je ne jugeai pas utile d'accepter les services de la goélette Glycine, de Paimpol, rencontrée.
« Vers 9 h. 30, un avion parut dans le ciel et nous survola. Nous vîmes nettement ses cocardes tricolores et son numéro, le 1229. Pensant qu'il pouvait chercher l'appareil remorqué, je fis hisser un pavillon. L'avion fit ensuite demi-tour.
« A 16 heures, un vapeur anglais survint : le Palacio, de Liverpool. Le vent se levait du nordet; tout allait bien; je refusai ses propositions d'assistance.
« Estimant que notre trouvaille valait largement une pêche, j'avais renoncé à faire une seconde morte-eau sans désemparer et je naviguais vers la côte française.

Photo prise depuis le remorqueur Boulonnais
« A 16 h. 30, le contre-torpilleur Léopard et le torpilleur Boulonnais arrivèrent sur nous.
« Le commandant du Boulonnais m'offrit de me relever de mon remorquage, mais j'avais l'impression que l'avion ne pouvait être mieux traîné que par nous, et, songeant aussi à mes droits de prise, je déclinai cette invitation, bien décidé à mener jusqu'au bout cette entreprise. À nous la peine, à nous le gâteau ! C'était juste, n'est-ce pas ?
« Le Boulonnais voulant nous passer à nous-mêmes une remorque, j'acceptai. Le commandant en second était d'ailleurs venu à mon bord en baleinière et m'avait assuré que je conserverai mes droits de prise. Il était 17 heures. Dans le sillage du Roch-ar-Mor, l'avion se comportait toujours bien. La mer était alors plate.
« A minuit, le vent fraîchit et la mer se fit plus houleuse. A 2 heures du matin, samedi, nos « toulines » ayant cassé, je signalai au Boulonnais de stopper, ce qu'il fit aussitôt.
« Allions-nous donc perdre ce beau « maquereau » que nous ramenions ? Je fis mettre à la voile et, changeant de direction, nous cherchâmes. Le Boulonnais, projecteurs allumés, était en ligne avec nous. S'agissait de se bien tenir et d'ouvrir l'œil !
« Après une demi-heure de recherches nulles, je mis à la cape, afin d'attendre le jour. Mais, presqu'aussitôt, nous apercevions l'avion au vent à nous. Décapeler nos paletots, nos gilets de laine, tirer nos bottes, mettre les ceintures de sauvetage et sauter dans le canot-annexe, cela fut vite fait !
« Ayant accosté l'épave, je vis qu'elle avait sérieusement souffert : son étrave avait été arrachée. Avec les cirés de l'équipage, j'entrepris d'aveugler la voie d'eau qui s'était ainsi déclarée. Après quoi, nous vidâmes l'eau embarquée. Ce travail, au cours duquel je me suis blessé au bras, en tombant au fond du canot, nous a demandé trois heures. Nous étions trempés jusqu'aux os ; la mer était alors très mauvaise et l'avion dérivait très vite par la force du vent et du courant.
« La réparation terminée, je mis en route par mes propres moyens. Peu après, le Boulonnais reparaissait.
« A 7 heures — nous sommes toujours au samedi matin — nouveau « pépin » : le croc de la remorque casse. Nous réparons rapidement. L'avion a un flotteur crevé et gîte sur l'aile tribord, « embarquant » beaucoup. Je fais amener le flèche pour diminuer de vitesse.
« Décidément, le « petit monsieur » que nous traînions nous donnait bien du mal.
« Nous avions « attrapé la crève » (sic). A force de crier dans le vent des : « Passe un orin ! », « Passe un fil carré ! », « Passe ceci ! », « Passe cela ! », j'avais une extinction de voix (vous pouvez vous en rendre compte ; et pourtant, j'ai de la ressource ; ce n'est pas pour rien qu'on m'appelle « le crieur » à Camaret !
« Nous étions rompus et par suite assez mal « bordés » lorsque, par le travers des Pierres Vertes, le remorqueur Hêtre, de la direction du port de Brest, vint à nous.
« Devinant ce qui l'amenait et voyant son commandant prendre son portevoix, je lui tournai le c... (sic). Puis, après ce premier mouvement d'humeur, je laissai entendre au Hêtre qu'il n'aurait pas la remorque et que l'avion se trouvait mieux derrière mon voilier que derrière lui.
« Le Boulonnais nous ayant quitté à l'entrée du goulet, laissant le remorqueur près de nous, je continuai ma route. Vers 18 h. 30, je mouillais l'avion en rade de Camaret, après avoir allumé à son bord le feu blanc réglementaire.
« Je n'avais plus qu'à faire ma déclaration à la « marine ». Ce que je fis aussitôt, accompagné de mon équipage : Louis Sévellec, Joseph Goyat, Pierre Guéguinou, François Daniélou et le mousse Yves Martin.»
Et ce ne fut qu'à 10 heures du soir que le remorqueur Hêtre put partir, traînant dans son sillage l'avion postal de l'Ile-de-France, épave heureusement recueillie, péniblement conservée et dûment déclarée par le patron Étienne Vigouroux, rude marin camarétois, taillé comme sont taillés les gaillards que dessine et peint notre ami Jimmy.
Étienne Vigouroux n'avait pas attendu ce vendredi 14 septembre 1928 pour prouver son opiniâtreté.
A certain retour de pêche, dans le port de Camaret, une vingtaine de langoustes contenues dans un de ses paniers tombèrent à l'eau. Sans hésiter, Vigouroux plongea vingt fois de suite, ramenant à chaque coup l'un de ces crustacés, dont il méritait ainsi deux fois le profit.
L'aventure du Roc'h-ar-Mor défraie naturellement toutes les conversations de Camaret, où l'on envie le sort de Vigouroux et de ses hommes, tous intéressés à la prise, par un système de parts, comme ils le sont à la pêche.
« Leur fortune est faite », dit-on. Et l'on cite des précédents dont aucun n'équivaut au cas présent. Pensez donc ! un avion vaut cher et les sauveteurs ont droit au tiers de la valeur de l'épave, les autres tiers revenant au propriétaire — la Société transatlantique — et à l'État.
Pierre Bouis

Dépêche de Brest, le 20/9/1928
APRÈS LE SAUVETAGE DE L'AVION POSTAL. — Lundi soir et mardi matin, les cent quatre-vingt et quelques langoustiers rentrés à la dernière marée prenaient le large. Dans le port, seul, le « Roch-ar-Mor », retardé par suite du sauvetage de l'hydravion de l' « Ile-de-France », complète ses vivres et attend la «boëte » de Lorient. Etienne Vigouroux semble remis de son extinction de voix et son équipage de ses fatigues.
Nous apprenons que, pendant la guerre, un hydravion du centre de Camaret capota dans la baie. Louis Sévellec (le matelot qui aperçut dans la nuit l'avion de Demougeot), se trouvant en pêche avec son père, non loin du lieu de l'accident, fit force de rames vers l'appareil pour reoueillir les naufragés. Au moment où les deux hommes accostaient l'hydravion, celui-ci se retourna et fit couler la barque des Sévellec. Mais ceux-ci, excellents nageurs, soutinrent à la surface les deux aviateurs, en attendant l'arrivée d'un canot anglais, qui les repêcha. Longtemps, Louis Sévellec et son père attendirent une récompense ou tout au moins un remerciement. Mais, hélas !
Cette fois-ci, le brave Louis Sévellec espère que ça ne se passera pas de même. Et nous l'espérons avec lui.

Dépêche de Brest, le 30/10/1929
Les sauveteurs camarétois
de l'avion de l' « Ile-de-France »
viennent de toucher 45.000 fr.
Le 14 septembre 1928, au large de la
côte anglaise, le sloop langoustier
« Roc'h-ar-Mor », patron Etienne Vigoureux,
de Camaret, réussissait, non sans
peine, à prendre en remorque l'hydravion
postal du paquebot « Ile-de-
France », que le lieutenant de vaisseau
aviateur Demougeot avait dû abandonner
en Manche, par suite d'une panne.
Après mille difficultés surmontées,
le « Roc'h-ar-Mor » abritait l'appareil
dans le port de Camaret et son patron
faisait, dans les conditions et délais
prescrits par les règlements, une déclaration
de sauvetage aux bureaux de
l'Inscription maritime. Peu endommagé, l'hydravion fut ensuite
dirigé sur le centre d'aviation de
Brest et remis en état de marche.
Après plus d'un an d'attente, l'équipage
du « Roc'h-ar-Mor » vient d'être
récompensé de la peine qu'il prit à
l'époque.
Le patron Vigouroux vient, en effet,
de recevoir de la Compagnie d'assurances
intéressée une somme de 45.000
francs, majorée de ses débours.
Selon les règlements, ces 45.000 francs
ont été aussitôt partagés entre armateur,
patron, matelots et mousse, dans
les mêmes proportions que celles représentant
leurs parts de pêche.
Rappelons les noms des heureux langoustiers
du « Roc'h-ar-Mor » : Etienne
Vigouroux, armateur et patron; Louis
Sévellec, Joseph Goyat, Pierre Guéguinou
et François Daniélou, matelots ; Yves
Martin, mousse.
P. B.
Le patron Etienne Vigouroux mourra 6 ans plus tard, en manipulant un fusil chargé...
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