Le Charivari a été pratiqué à Camaret sûrement depuis la fameuse "nuit des temps", et au moins jusqu'en 1927, mais, sans Victor Salez, nous n'en saurions plus rien aujourd'hui. Correspondant de la Dépêche de Brest à Camaret, pendant quelques-unes des années 20, il a écrit plusieurs articles incisifs sur le sujet qui nous ont incité à faire quelques recherches.
Mais avant d'en venir à la presqu'île et à Camaret, voici d'abord quelques mots sur l'origine du Charivari, suivi d'un petit tour dans la presse française qui vous donneront une idée de sa pratique, de ses plaisirs et de ses outrances.
"Le christianisme, à son berceau, était excessivement sévère sur la pratique de toutes les vertus, et particulièrement sur la chasteté. [...] Mais tout le monde ne pouvait pas rester vierge. [...] On se maria donc.
Mais comme en vertu du principe de la chasteté, poussé un peu à l'excès, on voulait restreindre le plus possible ce que l'on appelle les "joies du mariage", ne voilà-t-il pas que des esprits de travers se sont avisés de crier sur les toits qu'il suffisait de se marier une fois, et qu'il y avait culpabilité et péché, le veuvage étant survenu, de passer à de secondes noces. [...]
Comme il n'était pas possible de les empêcher légalement, on les a attaquées par le ridicule et par la plaisanterie, d'abord en regardant de travers les nouveaux remariés, en leur faisant des mines et des grimaces par derrière, puis en les insultant en face par des cris et des huées, et enfin en accompagnant ces improbations de tapage et bruit confus." 1

affiche du 25 août 1830
source : archives municipales de Brest, cote 6Fi0518
Jugés distrayants par les uns, sauvages par les autres, la presse finistérienne se fait régulièrement l'écho des Charivaris...
1903. Scrignac. « [...] Comme il existait entre les conjoints une grande disproportion d'âge, la population, évaluée à environ 800 personnes, s'est réunie sous les fenêtres du couple et a fait aux pauvres époux le plus épouvantable concert qu'oreille humaine ait jamais entendu. Le bruit était si fort qu'il a été perçu à quatre et cinq kilomètres du bourg. Et, pour éclairer cette scène, une torche monstre de 1m30 de large sur 30 centimètres de diamètre. La mèche avait été formée de deux sacs enroulés. » 2
1891. Camlez (Trégor). « Jeudi dernier (notez que nous sommes en carême) on célébrait le mariage d'un veuf avec une veuve qui convolait pour... la cinquième fois, n'en déplaise à toutes celles qui n'ont pas encore rencontré un premier mari. Inutile d'ajouter qu'il y a eu charivari. » 3
1885. Pont-Scorff (Morbihan). « M. Laporte, maire de Pont-Scorff, vient d'être suspendu de ses fonctions pour avoir toléré et même approuvé un Charivari organisé à l'occasion d'un mariage. » 4
1932. Sein. « [...]
Le soir, le « charivari » fut de première classe, si bien que le maire de l'île, M.
Guilcher, vint en personne demander à ses bruyants administrés de
respecter le sommeil des voisins ne prenant pas part à cette manifestation.
Dominant le bruit des clairons, casseroles et autres instruments de musique improvisés, M. Guillou injuria le maire, tandis
que Mme Guillou, relevant sa jupe, montra
au premier magistrat de l'île une partie
assez charnue de sa personne, non sans lui
adresser, comme son mari quelques mots
malsonnants. » 5
QUE FAIT LA POLICE ?
Ce qu'elle peut.
Et, la plupart du temps, elle peut peu...
1894. Ile-de-Sein.
— [...] À partir de neuf heures du soir, une
vingtaine d'individus, plus ou moins déguisés,
parcouraient les rues (?), les uns sonnant du
cornet, les autres imitant le bruit du tambour
en frappant avec des baguettes sur des casseroles
et sur des boîtes en fer blanc. Tout cela
produisait un vacarme infernal, qui n'a pas
duré moins de deux heures, malgré les efforts
des gendarmes pour surprendre les principaux
contrevenants. Ceux-ci se glissaient entre les
maisons basses de l'île, échappaient aux agents
de l'autorité et allaient reprendre sur un autre
point la note interrompue. 6
Quelquefois, elle emploie les grands moyens...
1899. Douarnenez. « [...] Le commissaire de police, avisé, se rendit immédiatement sur les lieux, accompagné de
ses trois agents et de trois gendarmes, et y donna la chasse en règle à tous les perturbateurs qui se sauvèrent en abandonnant sur les lieux du concert tous leurs instruments de musique.[...] Pour empêcher le retour des tapageurs, des agents de police et des gendarmes furent placés aux deux extrémités de cette rue [...] Cette foule, qui fut encore
plusieurs fois refoulée par les agents, finit
par disparaître peu à peu. » 7
1901. Toulon. « Tous les habitants d'un village du Var
vont passer devant le tribunal de simple police. Les délinquants sont au nombre de 500, fait évidemment unique dans les annales
judiciaires. Les habitants de la commune de Taradeau se livrèrent naguère à un charivari monstre, à l'occasion du mariage de la
veuve Reggner. » 8
Et évidemment, quand les charivarisés craquent, ça peut faire très mal...
1873. Labatut (Landes). « [...] Un neveu du marié, furieux de tous ces bruits malveillants, se précipita, armé d'une pelle, sur les tapageurs, et d'un coup de son arme improvisée étendit sur le sol un des principaux meneurs. La mort a été instantanée. Le malheureux venait de tuer un de ses meilleurs amis sans le reconnaître. » 9

ET EN PRESQU'ILE ?
À l'exception d'un Charivari à Roscanvel (1929), cité plus bas, et un autre à Rostellec, en Crozon (1935), nous n'avons trouvé trace de Charivari dans la presse locale que pour Camaret.
À Camaret, il y a en moyenne 3 ou 4 remariages par an, mais le Charivari semble y être systématique, du moins est-il resté comme tel dans la mémoire des Camarétois : pour certains fiancés, la perspective de leurs noces, et donc du Charivari, est une angoisse...
Finistère du 3 décembre 1895
Camaret. — De notre correspondant : La vieille coutume des charivaris ne tombe malheureusement pas en désuétude. Mercredi dernier, un veuf et une veuve de Camaret épousaient, l'un une demoiselle, l'autre un jeune homme habitant la commune de Crozon.
Les deux couples espéraient éviter le charivari qui leur était promis, et qu'on sait n'être pas toujours des plus agréables, en se mariant à Crozon.
La veuve et son mari 10 n'arrivèrent à Camaret que dans la journée de vendredi. Pas le moindre bruit de tam-tam, ils se croyaient sauvés. Mais hier soir, vers six heures, voici que commencent à résonner les bassins, marmites, tambours, accordéons, fifres, etc., et que les manifestants arrivent de tous côtés avec des lanternes.
Vers sept heures, le brouhaha était dans son plein. 300 à 400 personnes étaient réunies près de l'habitation des nouveaux mariés.
La manifestation n'a pas eu le charme espéré, les nouveaux mariés s'étant tenus clos et n'ayant même pas eu l'air d'entendre tout le tintamarre fait à leur intention.
Grâce à cette attitude, la mascarade n'a pas duré, et tout s'est terminé sans incident sérieux.
Le seul fait à noter est celui-ci : la lanterne que tenait un vieux marin quelque peu influencé par la boisson a pris feu et a failli l'incendier.
Ce qui est décrit ci-dessus est essentiel pour un Charivari "réussi" : les mariés doivent tenir le coup jusqu'à extinction du tapage. Et tout s'arrêtera alors en quelques heures. Sinon...
Mais à Camaret, on connaît et accepte en général le mode d'emploi :
Dépêche de Brest du 13 janvier 1905
Charivari. — La tradition ne se perd pas vite en Bretagne. Camaret en a fourni la preuve dans la soirée d'hier. Le mariage d'un veuf avec sa belle-sœur en est l'unique cause.
Il est huit heures du soir : de toutes parts s'amènent les enfants, qui avec un chaudron, qui avec de la vieille ferraille qu'ils font résonner sur la route ; d'autres, et ils sont nombreux, possèdent des conques marines dont le bruit lugubre se fait entendre au loin. Le bruit est assourdissant et le brouhaha indescriptible. Cependant que les nouveaux mariés font, avec leurs invités, honneur à un très substantiel repas.
Il est neuf heures : tout rentre dans le calme.
Mais 20 ans plus tard, ce n'est plus la même musique... Est-ce l'époque ou une circonstance particulière ? On ne sait pas, mais toujours est-il que le Charivari évoqué ci-dessous a duré 15 jours (dixit M. le maire), et qu'il a commencé bien avant le jour des noces.
Dépêche de Brest du 9 décembre 1925
CHARIVARI CAMARÉTOIS. —
Pour un charivari, c'en fut un ! De mémoire de vieux Camarétois, on n'en avait jamais vu de pareil.
Ce fut une cacophonie près de laquelle un concert de la musique de la flotte elle-même serait de la « gnognotte » !! Mais, d'abord, qu'est-ce que le « charivari » ? Ce n'est pas un fleuve de l'Afrique Équatoriale. C'est une vieille coutume qui consiste à faire un chahut de tous les diables comme don de joyeux avènement, aux futurs époux, dont l'un est veuf et l'autre célibataire. Le cas se présenta à Camaret lundi dernier11, et les Camarétois, traditionalistes par nature, ne manquèrent pas de suivre la coutume ; depuis plusieurs jours déjà, tout ce que Camaret possède d'instruments phoniques — et Dieu sait s'il y en a — cornets à brume, sirènes, cloches, chaudrons, bidons, casseroles, etc., était réquisitionné, et certains même avaient déjà fonctionné à titre d'essai... à froid... ! ce qui faisait croire aux non-avertis que le temps était bouché. Mais les intéressés ne s'y méprirent pas, et manifestèrent leur mécontentement.
Le maire, en personne, s'en mêla et voulut interdire la coutume ancestrale. Il n'en fallut pas plus pour assurer au « charivari » un succès sans précédent. Lundi, à la sortie de l'église, précédant le cortège, un groupe de « hérauts », « corne-bout » aux lèvres, suivis d'une escouade de cornes à brume, ouvrit la marche, sur un air qui aurait fait pâmer d'aise une tribu nègre du pays de Batouala. Cloches diverses, sifflets, tam-tam, complétaient l'orchestre. Le cortège défila ainsi devant une quadruple haie de curieux.
La joie, comme on le devine, était sur tous les visages, seuls les gens « ed'la noce » n'avaient pas le sourire, et c'est avec un soupir de satisfaction qu'ils s'engouffrèrent à la salle de Venise, où avaient lieu les agapes.
Le concert dura toute la journée et une bonne partie de la nuit, et ma foi, ne nous en plaignons pas, les distractions ne sont pas si nombreuses à Camaret; d'ailleurs, le « charivari » n'est pas une coutume méchante et le parti le plus sage est de l'accepter de bon gré.
De celui-ci, on s'en souviendra !
En 1927, en voici un autre du même tonneau...
Dépêche de Brest du 11 janvier 1927 12
Charivari camarétois—
[...] Depuis vendredi, et jusqu'à samedi prochain, tout ce que Camaret possède d'instruments phoniques — et Dieu sait s'il y en a — chaudrons, bidons, casseroles, cloches, sirènes, cornet à brume
et jusqu'au « Jules » 13 (en tôle bien entendu) est réquisitionné.
C'est tous les soirs une cacophonie
près de laquelle un concert de la garde
républicaine serait de la « gnognotte ».
Les canaques de la Nouvelle-Calédonie en deviendraient pâles de s'être vus dépasser.
L'année dernière, à ce sujet, le maire était intervenu, la gendarmerie avait été mobilisée. Mais en vain ; un corps d'armée même n'eût pas réussi à faire cesser le chahut. Les Camarétois, tous bons gabiers, seraient plutôt montés sur les toits ou en tête du mât de leurs navires.
Le charivari n'est pas une méchante coutume et le parti le plus sage est de l'accepter de bon gré.
On a vu souvent les futurs époux se
mêler au chahut, corne-bout aux lèvres, et c'est là la meilleure méthode, car il n'y aura, dans ce cas, pas d'exagération. Mais si, au contraire, les futurs veulent intervenir, alors gare la
casse : le charivari atteindra son maximum. L'orchestre sera complet, archi-complet.
S.
L'auteur des lignes ci-dessus est le correspondant de la Dépêche, Victor Salez.
Très investi dans la vie locale (comité des régates, trésorier de la station de sauvetage, sauveteur lui-même, enseignant à l'école de pêche de Morgat, etc.), il amorce le lendemain, par l'intermédiaire du journal, un débat entre partisans et opposants, en rédigeant lui-même les lettres de chacun des camps. Il répondra à ses propres lettres le surlendemain, sous la signature de L'impartial.
Dépêche de Brest du 12 janvier 1927
Charivari camarétois. — Nous recevons, avec prière d'insérer,
2 lettres, d'avis contraire ; l'une, intitulée : « Vive le charivari ! », l'autre :
« Mœurs de sauvage ! ». Nous les reproduisons toutes les deux.
Pour :
Monsieur le rédacteur, ayant appris
qu'une certaine personne à l'esprit neurasthénique devait vous écrire pour vous
prier, par la voix de votre journal, d'intervenir contre le « charivari », j'ai voulu
la devancer. Les distractions ne sont pas si
nombreuses à Camaret ! Aussi, quand l'occasion se présente, nous en profitons. Pourquoi
vouloir démolir ce qu'ont fait nos ancêtres ?
Sur le quai, tout le monde est en gaieté
(qui n'a pas son petit instrument ?). Même les
plus revêches ont le sourire, à part trois ou
quatre rongés par la neurasthénie.
A notre âge, il faut bien s'amuser. Quoi de
mal à cela ! Parce que l'un des futurs est
veuf ? Mais c'est une fête que nous leur
faisons. Et si mon grand-père revenait ce
soir sur la terre, il serait fier d'entendre
notre concert.
Aux futurs, je dis : « Vous devriez vous
réjouir, au lieu de prendre cette figure patibulaire. C'est en votre honneur, et malheureusement on ne peut faire mieux. »
Ce soir, à 20 heures, concert quai Gustave Toudouze. Chaudrons, casseroles,
« Jules », cornets à brume, etc. Y êtes-
vous ? Une, deux, trois, et tous en chœur !
Le chef de musique.
Contre :
Monsieur le rédacteur, je viens vous demander l'hospitalité de vos colonnes pour
intervenir au sujet du « charivari ». Cette
coutume barbare, au vingtième siècle, n'est
pas admissible. N'est-ce pas déjà assez malheureux qu'une veuve soit contrainte au remariage ? Chacun n'est-il pas libre de ses
idées ?
Cette coutume était peut-être bonne pour
nos aïeux. Mais en 1927, où nous sommes
rendus à un degré supérieur de civilisation,
c'est tout de même honteux. Si les tribus
nègres du pays de Batouala entendaient ce
chahut, ne croyez-vous pas qu'ils prendraient
les Camarétois pour des sauvages ? Et dire
qu'il y a encore quatre jours de « charivari » ! Ah ! Ma Doué !
Drôle de situation ! Nous voilà juges,
maintenant ; ce n'est pas de notre ressort, et il nous est difficile de discerner
lequel des deux a tort ou raison. Si quelqu'un d'impartial veut bien leur répondre, il nous facilitera notre tâche.
Dépêche de Brest du 14 janvier 1927
À propos du Charivari. — On nous
écrit :
Monsieur le rédacteur,
En présence des deux lettres contradictoires que vous avez eu l'amabilité de publier dans votre estimable journal, vous manifestez le désir — ne pouvant vous prononcer vous-même — qu'un lecteur impartial
veuille bien répondre. Je le fais avec plaisir
et je dis :
Le « chef de musique » a parfaitement
raison lorsqu'il avance que les distractions
à Camaret sont plutôt rares et que de temps
à autre il est bon de jouir d'un concert,
fut-il donné à grand renfort de chaudrons
et de casseroles ; d'ailleurs la musique adoucit les mœurs. Mais les meilleures plaisanteries sont les plus courtes ! et j'estime qu'un
formidable boucan donné la veille de la
noce et le lendemain sur le passage du
cortège suffirait amplement « à honorer les
conjoints ».
Par ailleurs, ce dont ne semblent pas se
préoccuper le « chef de musique » et le
correspondant du jour précédent, et ce qui
a son importance, c'est du trouble apporté
par ce vacarme aux malades et aux jeunes
enfants. Cette considération seule devrait
inciter les distingués instrumentistes à modérer leur ardeur et à leur faire écourter
leur concert. L'art et les amateurs de belle
musique y perdraient évidemment, mais la
santé des malades et la quiétude des bébés
pendant leur sommeil y gagneraient. Ceci
consolerait de cela.
Quant au deuxième correspondant, je lui
répondrai simplement : « Vous parlez du
« degré supérieur de civilisation où nous
sommes rendus ! » Ah ! cher monsieur, rayez
cela de vos tablettes et laissez-moi rire.
Passez-moi la civilisation en 1927, comme
dit l'autre ! »
L'impartial.
Le bon sens et la raison ne manquent pas à Victor Salez. Mais il est trop tard. Rien ne va plus à Camaret : le Charivari dure depuis le 8 janvier, et chaque soir le quai s'embrase. Cela n'est pas fait pour calmer les nerfs des patrons et matelots langoustiers qui sont en conflit depuis plus de 15 jours : tant qu'un accord n'est pas trouvé, ils ne peuvent partir pour le Portugal comme chaque année à la mi-janvier ; chaque jour qui passe, ils perdent de l'argent...
Mais ce n'est pas tout.
Aux pêcheurs qui ne pêchent pas, aux concitoyens qui ne dorment plus, et aux mariés qui pleurent, il faut rajouter, pour compléter l'apocalypse du tableau, une tempête qui souffle depuis plusieurs jours !
Un journaliste de Ouest-Éclair rend visite à monsieur le maire :
Ouest-Éclair du 16 janvier 1927
Deux Camarétois
viennent se marier à Brest
pour fuir le Charivari. — Dans la plus stricte intimité une
veuve s'est mariée, avant-hier, à
Brest, avec un jeune homme de Camaret. Il n'y a là, me direz-vous,
rien de si extraordinaire. Si fait. Ce
couple est venu convoler à Brest pour
fuir le charivari. Je m'explique :
De temps immémorial, il existe, à
Camaret, le charivari. Lorsqu'une
veuve épouse un jeune célibataire ou
inversement, les Camarétois se munissent aussitôt de chaudrons, vieilles casseroles, cornes à brume et vont
donner un concert sous les fenêtres
des fiancés. Cette musique dure trois,
quatre, cinq jours, parfois des semaines, comme l'année dernière.
Or, lorsqu'on apprit, ces jours-ci,
que le mariage de Mme X., qui demeure quai Gustave-Toudouze, était
imminent, toute la jeunesse fut mobilisée pour organiser un charivari.
Pendant quatre jours, les Camarétois
ne purent dormir tranquilles qu'à
partir de dix heures du soir. De
guerre lasse, les futurs époux se marièrent clandestinement à la mairie
de Camaret, puis, le lendemain, ils
prirent le train pour Brest...
Mais la population, ignorante de
ces faits, va continuer le tapage.
Chez le maire de Camaret
M. Poupat, le maire de Camaret,
nous a fait part, hier, de ses impressions.
— J'admets, nous dit-il, qu'on
s'amuse ; mais ce charivari tournera
mal. Il peut constituer un grave danger. Nous subissons, depuis quelques
jours, une très forte tempête. Or,
vous savez que les naufrages ne sont
malheureusement pas rares sur nos
côtes. Nos jeunes gens prennent,
pour faire plus de vacarme, les cornes à brume qui doivent seulement
servir à appeler les pêcheurs au canot de sauvetage, en cas de sinistre.
Eh bien, je vous assure que si, par
malheur, un bateau s'était trouvé en
perdition, tous ces soirs-ci, il aurait
vainement attendu du secours, les
cornes à brume servant à faire le charivari !
L'an dernier, nos musiciens improvisés accompagnèrent un couple
jusque dans notre église ; c'est inconvenable. Si cela continue, il y aura des bagarres. Ainsi, un soir de
l'an dernier, les tapageurs organisèrent un concert devant la demeure
d'un de nos concitoyens. Celui-ci, excédé, empoigna une lourde carafe
qu'il jeta dans la foule des perturbateurs. Personne ne fut atteint fort
heureusement. Mais s'il y avait eu
un ou deux blessés, des représailles
auraient certainement suivi. Voilà à
quoi on s'expose.
Du reste, mon prédécesseur avait
pris un arrêté interdisant cet amusement. Je vais en prendre un nouveau,
car il faut que cela finisse.
Telles furent les déclarations de M.
Poupat.
V. B.
La menace aurait-elle porté ? En tout cas, le Charivari s'arrête.
Puis recommence !
Dépêche de Brest du 21 janvier 1927
RECHARIVARI CAMARÉTOIS. — Allons bon, ça recommence, et pourquoi ? Y a-t-il une autre occasion ! Non,
c'est toujours la même. Ah ! ma doué !
ma doué ! ma pauvre tête !
Mais qu'y a-t-il auprès de la grue ?
Quel vacarme ! On dirait que le diable
s'en mêle. Tous les « tonnerres de Brest »
depuis Jésus-Christ, rassemblés, ne suffiraient pas, en éclatant ensemble, à
égaler ce tapage. Ah ! cette jeunesse
d'aujourd'hui, elle a le diable dans le
ventre, et pourquoi tout cela ? Un affront,
paraît-il, envers cette jeunesse charivariste, une insulte grave à leur adresse,
ou quoi encore ?
Barbu et Callec, les deux chefs de
musique (car il y en a deux maintenant)
nous ont parlé de (queue de cochon), de
(cognac), que signifie cela ? En voilà une
histoire, et pourtant toute l'histoire en
est là et de là vient ce qu'ils appellent
« la revanche » et cette revanche nous
l'entendons même à 10 kilomètres à la
ronde.
Mais voilà qu'ils se mettent en rangs.
Combien sont-ils ? Deux cents, cinq
cents, on ne le sait. Barbu, d'une voix
brève, ordonne : « À vos postes ! » . Aussitôt on les voit s'aligner sur trois rangs,
clairons d'abord. Ensuite viennent les
tambours — casseroles et bidons —
corne-bouts, cloches, et enfin les grosses
caisses — chaudrons.
Callec, d'une voix cassis-cognac,
s'écrie : « En avant, marche ! » Le cortège s'ébranle, assourdissant, suivi de
la moitié de la population.
Une pauvre vieille femme, pleine de
frayeur, s'enfonce la tête dans un tas
de goémon de drague pour échapper à
ce vacarme. « J' n'avions jamais vu autant », nous dit-elle, une fois revenue de
ses émotions. « C'ti pas la révolution,
m'sieur ? »
Plus loin, une sexagénaire tombe en
syncope. On dit qu'elle s'appelle « Pélagie ». La voilà qui revient à elle. « Ah ! Les commulistes, les commulistes ! »,
s'écrie-t-elle avec force. « De ce coup-ci,
la livre va sûrement remonter à 240 à
Camaret. Pauv' Poincaré qui avait si bien
travaillé ! Quelle désolation pour ce
pauv' m'sieur ! »
« Il y a autre chose »
Les jeunes gens continuent impitoyablement leur vacarme ; c'est terrible et
pourtant tout le monde en rit ! Quelle
revanche !
— Mais, est-ce pour l'histoire de la
« queue de cochon ? », questionnons-nous.
— Mon cher monsieur, il y a autre
chose et voici :
« La noce devait avoir lieu samedi.
Trois charrettes, un char à bancs, un
camion, une quinzaine de voitures à
bras, presque toutes les brouettes de
Camaret étaient réquisitionnés et devaient
se rassembler à la porte de notre cathédrale pour encadrer les gens « ed la
noce ». Dans chaque véhicule, devaient
prendre place les instrumentistes. Des
chefs de groupes, des commissaires,
deux chefs de musique, étaient désignés.
Tout était organisé à merveille.
« Le boucan ne devait commencer
qu'après avoir dépassé les vieilles maisons du bourg, de peur que celles-ci ne
s'effondrent par le chahut.
Roulés
« Quand les conjoints eurent vent de
c' t' affaire, ils partirent on ne sait où et
revinrent mariés 48 heures plus tard,
au grand dépit des charivaristes.
« Mais l'idée de revanche couvait et il
fallu les petites histoires que vous savez
déclencher cette revanche.
Un conseil
Maintenant, jeunes gens, vous vous
êtes assez vengés de votre déconfiture.
Il faut penser qu'il y a des malades à
Camaret qui ont besoin de repos. Il faut
songer également que, lors d'un sinistre,
les canotiers de sauvetage sont appelés
au moyen du cornet à brume et que vous
risquez de jeter à tort l'émoi parmi la
population de notre port.
Ramassez vos instruments. Ne croyez-vous pas que la plaisanterie a assez
duré ? La publicité que vous fit la presse —
vous eûtes en particulier les honneurs
de la première page d'un journal de
Paris — doit vous suffire.
SALEZ.
Impossible de retrouver la Une parisienne dont parle Victor Salez ! Dommage...
Et un peu plus de deux semaines plus tard :
Dépêche de Brest du 11 février 1927
LE CHARIVARI OFFICIELLEMENT SUPPRIMÉ. — Au cours de sa séance du dimanche 6
février, le conseil municipal de Camaret
a émis un vote tendant à la suppression
du « charivari » dont les échos emplissaient
récemment encore cette rubrique.
« On nous enlève une bonne vieille
tradition », diront certains... qui seront
dans l'erreur.
Outre que le charivari engageait
la responsabilité de la commune en matière
d'accidents suscités par cette manifestation
populaire joyeuse mais aussi
violente, il présentait l'inconvénient très
grave que voici :
Certain jour de tempête, le tintamarre
effectué autour de certains nouveaux remariés
risquait de couvrir les sonorités
de la corne par laquelle on rassemble
l'équipage du canot de sauvetage.
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