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1936

Avec un conférencier de la Ligue
contre l'alcoolisme, au Fret

par V.-S. Bastide


affiche d'une campagne contre l'alcoolisme, début XXe siècle  -  © Dominique Le Tirant, coll. privée

 

C'est un si petit port de pêche que la plupart des cartes ne le mentionnent pas. Mais vous pouvez le situer au nord de l'étroite langue qui sort de la gueule du Finistère. Il a un nom tout indiqué pour un village de pêcheurs : Le Fret. Figurez-vous un court chapelet de maisonnettes basses entourant une crique où, d'ordinaire, dorment gaiement au soleil de petites embarcations aux voiles multicolores.

Aujourd'hui, le ciel esl couvert, le vent déchaîné, la mer furieuse crache son écume sur la jetée, et les femmes inquiètes attendent, la rentrée des pêcheurs.

Bientôt, de tous côtés, des voiles se silhouettent dans la brume. Elles accourent nombreuses, fuyant la tempête avec l'air piteux et désordonné d'une armée qui bat en retraite.

Les pêcheurs débarquent maintenant un à un, sombres et préoccupés. Les langoustiers de Douarnenez et de Morgat, dans leur sarrau de toile rouge délavée, ramènent leurs casiers vides. Les sardiniers du Fret, vêtus de toile bleue déteinte, où les rapiéçages successifs font des bigarrures, ont en vain tendu leurs filets. Un équipage, dit-on, a réussi à pêcher un sac de coquilles Saint-Jacques, mais le vent a déchiré sa voilure. « Il y en a pour 300 francs de réparation, a dit le patron, plus que le prix de la pêche. » Il eut mieux valu se croiser les bras.

Les matelots, les mains dans les poches, se lamentent en regardant la mer hostile. Tous les bateaux sont rentrés, mais tous ont souffert.

Le moment est-il bien choisi pour convier ces pauvres gens à venir entendre un discours sur l'alcoolisme ?

Le conférencier de la Ligue se le demande tout en répétant d'un groupe à l'autre son invitation.
C'est pour quelle heure ?, demande un marin.
Pour 7 h. 1/2.
C'est bon, on y sera.

Effectivement, dès 18 heures, sous une pluie froide, des groupes compacts se dirigent vers le bowling et y prennent place sur les bancs improvisés. A 19 heures, la salle est archi-comble et il arrive sans cesse de nouveaux auditeurs. Tous les pêcheurs sont là, sans une seule exception. Quelques femmes, pour ne pas rester seules chez elles, ont apporté leur nourrisson.

Seraient-ils tous venus si on leur avait dit qu'on allait faire ce soir le procès de l'alcool ? Ce n'est pas sûr ! Les marins sont de grands amis de la bouteille et de précieux clients pour les trop nombreux cafés du quai.

Mais aucun ne songe à protester et encore moins à quitter la salle en entendant parler des méfaits de la boisson maudite qui dévaste les foyers et ruine le pays.

Au dehors, la pluie crépite sur les toits, le vent siffle entre les planches mal jointes, les vagues frappent la falaise comme des marteaux. Au dedans, le silence est parfois lourd comme un remords. Même les bébés semblent retenir leur souffle. Tous les yeux sont rivés sur les images lumineuses comme en extase. Les bancs ont beau être durs et l'atmosphère irrespirable, personne n'a l'air de s'en soucier tant chacun est avide d'entendre et de voir.

La soirée finie, toute cette foule veut remercier. Elle prouve sa reconnaissance par de rudes poignées de mains et une invitation pressante à revenir bientôt. « C'est très bien, nous dit une bonne mère de famille en secouant sa coiffe brodée, mais ce n'est pas en une fois que vous les corrigerez. Il faudra recommencer souvent. »

Tout le long de la côte, à Camaret, à Crozon, à Douarnenez, à Poulgoazec, à Plougerneau, à Landela, à Porsall, ce fut la même sympathique attention, accompagnée de marques variées de la même gratitude. Dans ce dernier village, au cours de la soirée, un auditeur, ancien colonial, reconnaissant le conférencier qu'il avait entendu pendant la guerre, tint à lui apporter publiquement son témoignage et à faire lui-même séance tenante dans les rangs une quête pour la Ligue. L'assemblée nombreuse qui remplissait le patronage, répondit par une touchante générosité. On pourrait citer mille traits délicats du même genre.

Qu'elle est donc attachante cette population de pêcheurs !

Pourquoi faut-il que l'alcoolisme s'y soit attaqué comme une lèpre et y cause tant de ravages ?

A Camaret, il y a presque autant de cafés que de maisons sur le quai. Au premier grain, à la moindre bruine, tous les marins s'y engouffrent, chacun devant soi, comme les voyageurs dans les rames du métro.

A Poulgoazec, où il semble qu'on pourrait compter les maisons sur les doigts, il y a 72 débits ! Aussi y connait-on, hélas ! les pires misères. L'autre jour, à deux pas de la salle où se tenait la séance de la Ligue, un affreux drame de folie alcoolique ensanglantait le petit port.

Dans cette population si foncièrement honnête et si profondément bonne, les seules actions coupables, les seules violences sont provoquées par la boisson.

Ne pourrait-on pas arrêter la décadence de cette belle et noble race ? La Société des « Abris du Marin » l'a courageusement tenté. Nous avons visité, sur plusieurs points de la côte, ses gracieuses villas accueillantes et gaies. Des jeux, des livres, des journaux, des appareils, des cartes marines et jusqu'aux outils nécessaires aux réparations y sont mis à la disposition des pêcheurs. On y trouve tous les pansements et les remèdes de première nécessité. On y donne des cours gratuits et des conférences. Tout marin est assuré d'y être reçu de jour et de nuit avec la plus vive sympathie par un gérant éclairé. Seul, l'alcool en est sévèrement banni.

Plusieurs centaines de mille pêcheurs passent chaque année dans les onze « Abris » répartis Sur la côte. Près de 70.000 ont fréquenté l'an passé le dernier construit à Poulgoazec. Qui dira de combien d'erreurs et d'excès ils ont été ainsi préservés ?

 

V.-S. BASTIDE.

(extrait de l'Etoile bleue, organe de la Ligue nationale contre l'alcoolisme).

 

Source

Journal de la jeune fille : organe des Unions chrétiennes de jeunes filles revue mensuelle et illustrée, de l'année 1936, p.76.

 

 

 

 

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