Jusqu'à la Première Guerre mondiale, que ce soit en baie de Douarnenez ou en exercice de forcement du goulet, les déploiements de force très populaires des grandes manœuvres faisaient venir toute la population sur les falaises. D'autant que certaines se déroulaient la nuit, et les jets de lumière électrique valaient alors largement un feu d'artifice !
Les manœuvres à terre, sur le territoire de la presqu'île, étaient encore plus prisées car elles duraient jusqu'à une semaine. Plusieurs régiments de nos vaillants marsouins étaient accueillis avec enthousiasme, les drapeaux étaient aux fenêtres, les caisses des commerçants se remplissaient. (quelques articles ICI).
Dans les années 30, l'aviation a rendu le spectacle de ces manœuvres encore plus impressionnant, mais la fête n'est plus là. Les officiers ne logent plus chez les notables presqu'îliens car désormais, grâce aux automobiles, ils rentrent à Brest sitôt la manœuvre achevée. Et puis la Grande Guerre a laissé des traces : la presse se contente maintenant de comptes-rendus laconiques, sauf... en cette année 1937. Ces manœuvres n'ont pourtant rien d'exceptionnel, mais c'est probablement la première fois que la Dépêche de Brest a obtenu de l'armée l'autorisation de faire un reportage-photo.
Nuit noire, complète, qui étonne par
son silence. On sait que des troupes sont
là, postées sur cette croix immense qu'est
la presqu'île de Crozon, tracée au coeur
de notre département.
On sait aussi qu'une escadre entière va
venir, tous feux éteints, débarquer,
dans l'une des baies, des hommes chargés
de mettre à mal la base aéronautique de Lanvéoc-Poulmic.
On le sait, mais rien n'apparaît dans
cette opacité; pas un bruit ne trouble le
calme de cette nuit. [...]
Vers une heure, dans la nuit noire, les
guetteurs de la pointe de Dinant entendirent
les bruits de moteurs de vedettes
et alertèrent aussitôt la compagnie du
135e d'infanterie, qui se trouvait à proximité.
Les formes des embarcations remorquées
par les vedettes apparurent, semblant
se diriger vers une crique. Mitrailleuses
et fusils mitrailleurs se préparèrent
à entrer en action, mais on ne
tarda pas à s'apercevoir qu'il n'y avait
là qu'une feinte du parti rouge pour attirer
l'attention de ce côté.
Sur la plage de Morgat, où s'étaient
assemblés des curieux, à 1 h. 30, nouvelle
alerte. Des embarcations quelques
hommes sautent à terre. Des fusées
rouges montent dans le ciel. Les mitrailleuses
crépitent. Les fusils tirent.
Ce n'est encore qu'une feinte. Les embarcations
fuient. C'est dans la crique
de Trébéron que doit avoir lieu la véritable
tentative de débarquement.

À Trébéron
Près de cette crique bien abritée, à
l'est de Morgat, sont venus s'installer,
sur une hauteur, le vice-amiral Devin,
commandant en chef, préfet maritime,
accompagné du capitaine de vaisseau
S[.]werer et du capitaine de frégate
Costet.
Le général Arnould, commandant le
groupe de subdivision de Brest, et le
général Martin-Prével, commandant celui
de Vannes, viennent les rejoindre
avec le lieutenant-colonel Ardouin, du
ministère de la Marine, en tournée d'inspection
à Brest.
Il est 2 h. 15, la nuit est moins noire.
On aperçoit des ombres sautant des embarcations
qui viennent de s'échouer sur
la plage. Ce sont les marins des compagnies
de débarquement de l'escadre légère.
Ils parviennent, malgré le feu de
la compagnie du 135e R. I., accourue
pour s'opposer à leur débarquement, à
occuper la plage et à pénétrer à l'intérieur
pour faciliter l'arrivée du bataillon
des fusiliers-marins, qui débarquent d'un
grand chaland auto-moteur muni de
quatre gouvernails, dont l'avant s'est
échoué sur la plage.
Avec un allant admirable, les jeunes
cols bleus, commandés par le capitaine
de frégate Constantin, bousculent la
compagnie du 135e, l'enfoncent et passent,
pendant que les compagnies de
débarquement de la Provence, de la
Lorraine, de la Bretagne et du Béarn,
qui ont réussi à débarquer à Laber,
attaquent une autre compagnie du 137e
à Tal-ar-Groas, l'empêchant de s'opposer
au passage des fusiliers-marins.
Le raid des fusiliers-marins
Charges de pétards et de tout un
matériel de démolition, les vaillants
marins du bataillon, dont l'objectif est
de détruire la base aéronautique du
Poulmic, franchissent à une allure
record la distance qui les sépare des
hangars, s'y précipitent et reviennent
dans la nuit sans que les troupes du
plastron de défense, dont le nombre est
insuffisant, aient pu s'opposer au raid
accompli avec une rapidité surprenante
par les Lorientais, efficacement soutenus
et protégés par les compagnies de
débarquement de l'escadre qui occupent
les abords des routes, dont ils interdisent
l'approche aux fantassins.
Les renforts
Ceux-ci ont demandé des renforts à
Brest. A 1 h. 30, un bataillon du
2e R. I. C. s'est embarqué au pont
Gueydon sur deux remorqueurs, pendant
que devant la porte Tourville les
grues chargeaient sur des chalands :
fourgons, voitures et mitrailleuses et
qu'au pont 2 les chevaux prenaient
place sur des chalands aménagés spécialement.
Malgré la rapidité de la traversée, ces
renforts n'arrivent que vers 3 heures à
la cale du Fret, les hommes montent
dans les camions qui vont les conduire
sur le point où maintenant se livre le
combat dont on entend la fusillade et le
tac-à-tac des mitrailleuses.
La compagnie de mitrailleuses du
2e R. I. C. de toute la vitesse de ses
chevaux suit comme elle peut, mais ne
peut aller aussi vite que les camions. Les
hommes en descendent, ils portent à
dos les mitrailleuses, les installent pour
renforcer le 135e auquel est venu se
joindre le 48e de Landerneau.
Le Béarn, à la pointe du jour, a lâché
ses avions qui survolent la bataille. Les
appareils de la défense ont aussi pris
l'air, mais rien ne peut s'opposer au retour
vers la mer du bataillon des fusiliers-marins qui sautent dans le chaland
et les embarcations restés à Laber,
pendant que les compagnies de débarquement
des croiseurs et des cuirassés
tiennent la route entre Saint-Guénolé
et Tal-ar-Groas pour protéger leur
repli.

Puis les compagnies de débarquement
se replient en bon ordre par échelons
et parviennent à la plage.
Le clairon sonne « cessez le feu »
pendant qu'elles s'embarquent pour rejoindre
leurs bâtiments, mouillés près
de Morgat qui, dès leur arrivée, font
route vers Brest.
La critique
Le vice-amiral Devin et les officiers
de son état-major ont repris en auto la
route de Brest.
[...]
Le général Arnould fait la critique
de la manœuvre.
Son but était, pour le parti de l'attaque
(parti rouge), placé sous la haute
direction du vice-amiral de Laborde.
commandant en chef l'escadre de l'Atlantique,
et le corps de débarquement
placé sous le commandement du capitaine
de frégate Constantin, de parvenir
à débarquer et à atteindre rapidement
la base aéronautique de Lanvéoc-Poulmic
pour y détruire les hangars et les
appareils.
Cet objectif, grâce au splendide allant
du bataillon des fusiliers-marins et à
l'efficace soutien des compagnies de
débarquement, a été en principe atteint,
le parti de la défense étant trop faible
pour s'opposer au débarquement et
arrêter son élan, les renforts étant
arrivés trop tard.
Dans la réalité, les batteries de Crozon
auraient tiré et le débarquement
n'aurait pu se faire aussi aisément.
Les artilleurs du 35e régiment divisionnaire
n'avaient pas de canons. Ils
ne participaient à l'exercice que pour
l'instruction des cadres.
Enfin, les mitrailleuses de la défense
auraient considérablement gêné la
marche des assaillants.
La manoeuvre a eu surtout pour effet
d'apprendre aux marins des compagnies
de débarquement à opérer en liaison;
aux soldats à manoeuvrer la nuit, à se
diriger, à se retrouver, à ne pas perdre
la liaison.
Assaillants et défenseurs ont parfaitement
manœuvré. Leur moral a été
parfait. Chacun a accompli sa mission
avec entrain.

Le retour
Après un repos sur le terrain, où les
cuisines roulantes étaient à leur tour
entrées en action, les troupes regagnèrent
en camions leurs casernements.
Le bataillon du 2e R. I. C. embarqua
son matériel et prit place sur les remorqueurs.
Avec une grande docilité,
les chevaux traversèrent la rade sans
broncher et, à 16 heures, le convoi arrivait
dans l'arsenal. Le débarquement fut
fait rapidement et à 17 heures, le 2e
R. I. C. entrait à la caserne Fautras
pour prendre un repos bien gagné.

Deux blessés
Au cours de la manœuvre, un soldat
du 137e R. I., Albert Le Mollic, avait
fait une chute et s'était fracturé la
jambe.
A 7 h. 30, il entrait à l'hôpital maritime, conduit par une voiture ambulance.
Deux heures après, le soldat Lucien Letard, du 2e R. I. C., les os de la
jambe gauche fracturés, était à son tour conduit à l'hôpital.
L'arrivée de l'escadre
Dès 8 h. 30, l'Alcyon, le Typhon, la
Tornade, la Trombe, le Bordelais et la
Tramontane mouillaient en grande rade
et étaient aussitôt conduits à leurs
postes d'embossage.
A 11 h. 50, arrivaient : le Jaguar,
l'Ouragan, l'Orage, la Bourrasque, le
Cyclone et le Mistral.
A 12 h. 45, le Jules Verne, l'Emile
Bertin et les contre-torpilleurs.
Enfin, à 13 h. 25 : la Provence, la
Lorraine, la Bretagne et le Béarn.
L'escadre de l'Atlantique séjournera à
Brest pendant onze jours et doit appareiller
le 19 pour procéder à ses écoles
à feu.


Source de cet article
La Dépêche de Brest & de l'Ouest du 8 juillet 1937
Toutes les photos ci-dessus sont des photos La Dépêche.
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