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1923

L'aviation à l'aide de nos pêcheurs

un article de Georges Gustave-Toudouze
paru dans Lectures pour tous


   "Encore un service que l'aviation est à la veille de nous rendre. C'est la population si intéressante de nos pêcheurs qui en bénéficiera. Finies les longues attentes, les vaines recherches, les incertitudes et les erreurs ! Grâce à l'avion qui voit sous l'eau et qui joue le rôle d'observateur et d'avertisseur, ce sera la pêche à coup sûr. On pourrait dire la pêche miraculeuse à volonté..."

 

Jusqu'à ces années dernières, les pêcheurs n'ont guère employé d'autre méthode que de jeter lignes ou filets aux lieux où, d'après le vent, le courant, la marée, ils supposaient que pouvaient se trouver les poissons dont ils espéraient la capture....

Ainsi avaient fait leurs pères depuis les âges les plus reculés, ainsi faisaient-ils avec les mêmes alternatives de succès ou de malchance. Le poisson « donnait » ou « ne donnait pas ».

Un premier progrès s'accomplit lorsque la science biologique découvrit que certaines espèces de poissons se déplacent suivant la température de l'eau : par exemple, le thon fuit toute nappe d'eau qui n'a pas 15 degrés. Et l'on imagina de diriger la pêche par observation thermométrique des profondeurs propices.

Voici maintenant que l'aviation permet la recherche par regard direct, et dès maintenant on pourrait lire des « journaux de bord » et des récits de pêche comme celui que voici :

« Allô ! allô !... Signal de pêche... Qui m'entend ?

— Allô ! allô !... Moi, sardinier Bonne Espérance, 1188, du port de Douarnenez....

— Allô ! allô !... Moi, sardinier Trois-Frères, 953, du port de Camaret....

— Allô ! allô !... Moi, sardinier Courbet, 1020, du port d'Audierne....

— Bon. Ici, hydravion CM 404 du centre de Brest.... Où êtes-vous ?

— Moi, Bonne-Espérance, par le travers du cap de la Chèvre, en baie de Douarnenez !

— Moi, Trois-Frères, par l'alignement du Toulinguet et du château de Bertheaume....

— Moi, Courbet, dans le raz entre Tevennec et l'île de Sein....

— Bon. Moi, hydravion CM 404, je suis par 200 mètres d'altitude dans le Sud-quart-Sud-Ouest à deux milles du phare des Pierres-Noires. J'ai en dessous de moi un banc de sardines qui fait route Ouest-Est vers l'entrée de l'Iroise, en direction de la pointe Saint-Mathieu, à vitesse normale. Avisez vos voisins.

— Entendu ! »

Et, tranquillement assis dans la carlingue de son hydravion planant en cercle autour de la chaussée et du phare des Pierres-Noires, le téléphoniste de CM 404 interrompt la communication, et reprend sa lorgnette marine à prismes, afin d'examiner juste en dessous de lui le banc de sardines qu'il vient de découvrir.

Accompagné d'une légère tache huileuse, ce banc, — parfaitement visible grâce à la transparence d'une eau vert clair traversée par les rayons du soleil au zénith, — apparaît dessinant la forme approximative d'une poire, suivant le dispositif de marche qu'adoptent régulièrement les sardines en route.

« Elles ne se pressent pas, murmure l'observateur ; elles ne font que jouer. »

En effet, le banc, dont les poissons apparaissent dans le champ de sa lorgnette comme de petites taches oblongues semblablement orientées, dessine de brusques évolutions.

Par à-coups, toutes les sardines, avec un ensemble parfait, obliquent à droite, couvrent quelque distance, puis reviennent aussi soudainement à gauche. A chacune de ces volte-faces, le soleil qui pénètre profondément la masse des eaux calmes joue sur les écailles brillantes de leur corps et produit un bref scintillement qui les dénonce comme un éclair d'argent.

« Beau banc, déclare l'observateur.... Il y a du travail pour une centaine de bateaux au moins. »

Un mot au pilote et les gouvernails manoeuvrent : de 200 mètres, l'hydravion gagne 400, 600, 1 000 mètres, dessinant des cercles plus vastes qui élargissent la portée du regard. Et l'observateur cherche, au loin sur la mer, les bateaux qu'il vient d'appeler. — trois barques-chefs qui possèdent à bord chacune un appareil de sans-fil et servent d'amirales aux trois flottilles des trois ports sardiniers de Camaret, Douarnenez et Audierne, situés tous trois à la pointe extrême du Finistère. Chacune a reçu un système de pavillons, afin de transmettre aux camarades non munis de T. S. F. les avis qui peuvent être donnés par l'aviation.

L'observateur regarde longuement :

« Ah ! voici là-bas, dans l'Est, le Camaretois avec son pavillon en tête de mât pour signal.... Bon, sept, douze, dix-sept barques rallient sur lui et prennent son sillage.... Ils ont vent arrière, ils seront là dans une demi-heure. »

Sur un signe, l'hydravion pique vers le Sud : nouvelle observation.

« Le Douarneniste est bien accompagné.... Ils sont plus de cinquante qui courent derrière lui, vent de travers. »

L'hydravion a rapidement dessiné un grand quart de cercle, et l'observateur fait la grimace :

« Aïe ! les Audiernois ont le courant de jusant contre eux dans le Raz ; ils n'arriveront pas, malgré leurs efforts.... Je vais tâcher de découvrir un autre banc dans les parages d'Ar-Men : ce sera plus près.... »

L'hydravion aussitôt pique en une longue descente vers la mer ; il survole Sein, toute plate au ras de l'eau, avec sa ceinture d'écueils sous-marins qui apparaissent en taches sombres à travers l'épaisseur de l'eau, puis il plane à 300 mètres au-dessus du phare d'Ar-Men, isolé sur sa roche sous-marine à quinze lieues au large.

En zigzags, l'appareil va, vient, revient, et une exclamation échappe à l'observateur qui aperçoit des éclairs étincelants dans l'eau.

« Un autre banc !... Moins fort... mais pas mal cependant Je vais prévenir les Audiernois.... Tiens, quels sont ceux-là ? »

Dans l'Est, pas très loin, une dizaine de barques virent là qui pèchent à tâtons, comme au temps jadis, tendant leurs filets au hasard des apparences que l'on peut voir sur la mer. Ce sont des isolés qui ont quitté les chefs de groupe et travaillent à leur guise, de leur côté, à la mode ancienne, sans se soucier des avis donnés par les barques-amirales.

Ces barques font bande à part. Ce n'est pas une raison cependant pour les priver de rensèignements, d'autant que, se trouvant toutes proches, il ne leur faudra guère de temps pour arriver sur le nouveau banc aperçu.

L'observateur prend une planchette préparée à l'avance : avec un crayon gras ; il écrit en gros caractères sur le bois : « Banc de sardines à trois milles de vous en direction Ouest franc sur le phare d'Ar Men.  »

Il attache la planchette à une bouée-boule; grosse comme trois têtes d'homme et peinte en rouge. Il indique au pilote, les barques isolées. L'hydravion descend, à 100 mètres; pique sur celle qui est au milieu du groupe... Au ronflement du moteur, les pêcheurs ont levé la tête : l'observateur lâche alors bouée et planchette qui, avec un grand jaillissement d'écume, viennent fouetter la mer ; et tandis que l'hydravion, se relevant immédiatement, escalade une nouvelle altitude, il aperçoit les pêcheurs qui, à force de rames, vont chercher la bouée-correspondance.

Mais là-bas, sur l'eau, des écumes bouillonnent, de grands corps noirs surgissent, sautent en l'air en cabriolant comme des clowns, retombent à grand fracas d'écumes blanches. Ce sont les bélugas, les terribles mangeurs de sardines, marsouins armés de dents aiguës qui, non seulement gobent à la centaine les sardines libres, mais se ruent sur les filets chargés de poissons et broient tout, animaux, mailles de fil et lièges, — véritables bandits de la mer qui désolent les eaux bretonnes.

L'observateur examine à la lorgnette la marche de la horde, à mesure que l'hydravion approche :

« Ils sont une centaine... et puis des gros.... Ils marchent sur mon banc des Pierres-Noires... et voilà juste les Camarétois qui approchent... Les sardines vont se disperser. Prends du tour, mets-toi entre le banc et les marsouins... Bien... et puis descend à quarante et fonce dessus... »

L'appareil vire, baisse.

L'observateur saisit le téléphone et jette :

« Allô, des Trois-Frères ?

— Allô !... Oui, j'entends.

— Bélugas, sous le vent à vous à deux milles... Marchez à votre banc et mouillez vos filets sans vous inquiéter.... Je vais les arrêter. »

L'hydravion a terminé son tour. L'observateur se baisse, prend dans là carlingue un fusil-mitrailleur et ordonne au pilote :

« Plus bas de 10 mètres... Bien... Droit... Bon... Et maintenant, à vous dans le tas, les amateurs de sardines.... »

Dix, vingt, cinquante détonations sèches éclatent en cadence précipitée. Une rafale de balles Lebel qui s'abat en grêle d'acier sur le troupeau cabriolant... et des corps noirs se dressent, culbutent, retombent, et du sang rougit la mer.

« Du tour ! et vire serré ! » clame l'observateur à son second.

L'hydravion s'incline sur une aile, revient. Une nouvelle rafale en sens inverse balaie la mer, fauchant de nouveaux marsouins. Un désordre inouï se met dans la troupe : de droite, de gauche, de grandes bêtes affolées piquent, plongent, fuient, tandis que l'appareil décrit des huit, des cercles, des spirales, et que le fusil-mitrailleur claque sans arrêt... jusqu'à ce qu'enfin la bande des ravageurs décimée disparaisse aux profondeurs, allant rejoindre ceux des bélugas qui, frappés à mort, ont déjà coulé à pic.

L'observateur a posé son arme et il donne un ordre nouveau...

Là-bas les barques arrivées au lieu indiqué sont déjà au travail ; mâts abattus, filets à la traîne, pêcheurs aux avirons ; à chaque arrière les patrons debout semant à pleines mains l'appât favori, la rogue d'œufs de morue qui attire la sardine... Et les poissons se jettent aux filets, se maillent : la pêche est rapide, magnifique. L'hydravion un instant survole la flottille ; puis en un joli mouvement de goéland qui se pose sur le flot, il vient amerrir sans secousse, à vingt mètres d'une barque, et se balance au gré de la houle.

 

Scène de roman ! allez-vous dire. Mais pas du tout, car l'aviation de pêche existe et elle a maintenant tout ce qu'il faut pour opérer avec le plus grand succès au bénéfice des pêcheurs.

D'abord on a constaté que, de la coque d'un hydravion et de la nacelle d'un dirigeable, on voyait à merveille par faible profondeur et eaux claires ce qui se trouvait sous les vagues : écueils proches, taches de sables, vasières, herbiers, poissons en circulation.

Si la photographie ne donne encore que des renseignements incertains dès que l'on atteint un certain nombre de mètres, l'œil renseigne beaucoup mieux, car la découverte des bancs de poissons tient beaucoup à la coloration. Une zone rougeâtre indique un passage de thons, une tache huileuse un défilé de harengs, des éclairs intermittents un raid de sardines : ces observations ont été cataloguées dès 1918 par M. Joubin et le lieutenant de vaisseau Pouyer.

Puis en 1919 les aviateurs américains, dans les eaux de Californie, en Pacifique, et sur le littoral oriental en Atlantique commencèrent d'organiser l'aviation de pêche. En 1929, un aviateur canadien rendit aux pêcheurs de Terre-Neuve les plus précieux services. En 1921, le Français Heldt mit la chose complètement au point : directeur de la station agricole de Boulogne-sur-mer il a longuement survolé la Manche et dressé un véritable plan de campagne pour la pêche au hareng. En outre, en 1922, les chalutiers de Boulogne ont commencé de recevoir des installations de T. S. F. permettant de maintenir une liaison permanente entre l'avion en vol et le bateau au travail.

Cette utilisation de la T. S. F. existait déjà entre bateaux : l'expérience avait été tentée et réussie en 1911 par les chalutiers d'Arcachon ; ces chalutiers pourvus de T. S. F. étaient 30 en 1918, 65 en 1919, 90 en 1920, 181 en 1921.

En 1922, un fait éclatant acheva de convaincre les incrédules : quelques chalutiers qui ne trouvaient rien dans le canal de Bristol reçurent un message d'un chalutier boulonnais qui, à quarante milles de là, venait de croiser un banc important de maquereaux ; tous accoururent et certains péchèrent jusqu'à 25 tonnes de poisson dans leur journée.

La vitesse des hydravions permet à ces appareils d'explorer avec une promptitude extrême le plus large champ et par conséquent de réunir en un très court délai une masse considérable de renseignements pratiques, en même temps que la T. S. F. assure la transmission instantanée et la prompte répartition de ces renseignements si utiles à nos pêcheurs.

Si une propagande précise était faite en ce sens, les pêcheries côtières et hauturières françaises pourraient être équipées de telle sorte que les pêcheurs au lieu de pêcher à tâtons, comme leurs devanciers, jetteraient lignes et filets à coup sûr, sans perte de temps aucune.

Et la France entière trouverait dans l'apport ainsi centuplé de la pêche maritime, le plus sûr moyen de combattre la vie chère qui nous écrase.

GEORGES G.-TOUDOUZE    

Liens

- Heldt H. (1921). La coopération de la navigation aérienne aux pêches maritimes. Notes et mémoires, 12. Open Access version : http://archimer.ifremer.fr/doc/00016/12761/

- Source de l'article : Lectures pour tous - juin 1923 sur Gallica

 

 

 

 

 

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