Sa famille maternelle étant douarneniste, Bernard Fabien, né à Crozon, a passé une grande partie de ses vacances d'enfant sur les quais du Rosmeur. Il a fait toute sa carrière professionnelle dans le bâtiment, mais n'a pas pour autant été guéri de son virus de la mer !... Il s'est même embarqué pour participer à des campagnes de pêche à deux reprises (à bord du Castel Dinn d'Henri Téphany, et du Dominique, de Jean Moalic).
Bernard Fabien parle ici de la pêche au thon et nous livre le résumé de ses investigations auprès de plusieurs pêcheurs ayant pratiqué cette pêche aux grandes heures du port de Morgat...
Suite à plusieurs séries de mauvaises
saisons de pêche à la sardine, les pêcheurs morgatois, voyant le métier décliner régulièrement, sont contraints de trouver une solution pour l’avenir. Une
nouvelle vocation allait naître au cours de la decennie
20/30 grâce à la découverte, par les pêcheurs de Groix et
de l’île d’Yeu, des bancs de thons qui émigraient chaque
année des côtes de l’Afrique jusqu’à celles de l’Irlande.
Les pêcheurs morgatois se sont rapidement trouvés intéressés
par ce métier nouveau qui s’ouvrait à eux.
Une autre raison les motivait, celle de faire la pêche au large, un métier durable qui pouvait leur fournir du travail tout au long de l’année.
Cela représentait cependant une reconversion qui ne pouvait se réaliser
du jour au lendemain. La volonté existait mais encore fallait-il trouver les
moyens, mais là aussi, comme dit le proverbe : Quand on veut, on peut ! Ils décidèrent alors, à l’image des Concarnois et des Douarnenistes, de se lancer dans l’aventure, ayant appris que des navires aptes à ce métier
se trouvaient disponibles en Vendée et sud-Bretagne.
Des contacts furent établis entre les propriétaires de ces navires
et des personnes de Crozon et Morgat disposant de fonds et se trouvant prêts à
investir dans l’aventure. Plusieurs affaires furent ainsi conclues.
Il fut cependant décidé (non sans mal) de construire un
navire neuf. Celui-ci, baptisé Yves et Jean, fut construit au chantier
Sévellec à Morgat et mis à l’eau en 1924. Sa construction posa
d’ailleurs d’énormes problèmes, si bien qu’il ne fut plus jamais question
d’en construire un second au même endroit 1 . Toujours est-il que ses
premières campagnes furent très prometteuses.

Thoniers à quai, à Morgat - L'Yves et Jean, et l'Yvette à la fin des années 30
carte postale Éditions Gaby
Plus tard, un autre navire,
le Chloé, construit à Camaret, fut armé à la pêche au thon à Morgat.
Ils furent rejoint quelques années plus tard par ces élégants thoniers venus
de Groix, de l’île d’Yeu ou Noirmoutier. Ceux-ci avaient pour nom Pitti, le Rouge, Petit Charles, Jazz-band, Coureuse des mers ou Traviata.
Ces navires ne possédaient à l’époque que le vent comme
moyen de propulsion, ils ne furent motorisés que bien des années plus
tard. Le seul moyen d’orientation était à l’époque le sextant, avec l’aide du
soleil. Il est même arrivé, quand ce dernier ne daignait pas se montrer plusieurs jours durant, que certains navires faisant route terre, se
retrouvent non pas en Bretagne mais en Angleterre ou en Espagne
(mais restons sérieux, ceci n’est peut-être que pure légende !).
S’il arrivait par hasard que leur route croise celle d’un navire
marchand, il se pouvait qu’un échange de poisson frais contre viande
fraîche puisse se faire. Par la même occasion, le navire marchand
apportait des précisions au navire de pêche concernant la route à suivre
pour rejoindre son port de destination.
Ils n’étaient pas non plus équipés de chambre froide. La
méthode de conservation était la suivante : les poissons aussitôt pêchés
étaient nettoyés puis suspendus par la queue de façon à les vider au
maximum de leur sang, à des perches de bois fixées horizontalement à
des chevalets eux aussi fixés au pont, le tout étant régulièrement arrosé
d’eau de mer de façon à maintenir en permanence une température
relativement basse.

Thonier au retour de la pêche - 1936
carte postale, Éditions Jos Le Doaré
Ils n’étaient pas non plus bien sûr équipés de moyens radio. Le premier à en être équipé fut le Chloé en 1950.
Leur conception en ce qui concerne l’équipement en
matériel de pêche est resté pratiquement la même pour une
bonne partie des navires (ceux qui ont toujours pêché le thon à la
ligne). Ceux-ci étaient équipés de deux immenses perches en bois
fixées sur le pont, à babord et tribord du grand mât, à partir de pièces
métalliques oscillantes. Sur elles étaient réparties de haut en bas 6 lignes à l’extrémité desquelles étaient fixés de forts hameçons où
se trouvaient les leurres en plumes multicolores. L’extrémité de ces
perches étaient faites en bois de jeunes plants d’orme que les pêcheurs
allaient couper dans la vallée du Loch, ce bois étant réputé pour sa
flexibilité et sa solidité.
Chaque ligne avait un nom bien spécifique, ceci de façon
à les identifier lors des manœuvres. Elles étaient appelées : Pen, Neil, Petit plomb, Taiher,
Grand plomb, et Eider. Celles qui étaient fixées à l’arrière étaient appelées : Courrier, Trou du cul, Bonhomme, et Salabarde.

La manœuvre pour ramener les thons à bord
Un thon est pris sur BIDER. Avant de pouvoir
l'embarquer, il faut raccourcir à l’aide des poulies les autres
lignes se trouvant
entre la ligne pêchante et le navire, de façon à dégager le champ de manœuvre. Cette opération se pratique à l’aide de l’écoute.
À l’époque des premières campagnes, l’équipage de ces
navires étaient composés de 8 hommes, ce chiffre a été rabaissé à 6
au moment où est intervenu la motorisation.
Le thon étant un poisson migrateur, il se déplaçait en
bancs très importants, toujours dans le sens sud-nord. La zone de pêche
s’étendait entre les Açores au sud et les côtes d’Irlande au nord. Les
premiers bateaux qui entamaient la campagne vers le début du mois de
juin étaient obligés de descendre très bas à la rencontre des bancs.
Au fur et à mesure du défilement des semaines, le poisson
remontait vers le nord, ainsi vers les premières semaines du mois d’août
ceux-ci se situaient sur la latitude de la pointe de Bretagne. Le temps de
route pour se rendre sur les lieux de pêche s’en trouvait de beaucoup
diminué, ce qui fait qu’à la période la plus propice, cela se limitait à
une durée de 18 heures environ. Puis c’était l’inverse, la remontée
continuait pour se terminer avec la fin de la campagne au niveau des
côtes d’Irlande vers la fin septembre. On a même vu, à la faveur de
belles conditions climatiques, des campagnes se poursuivre jusqu’à fin
octobre.

En partant de la gauche : le 2e est le Breizh Atao, le 5e est le Rouge.
Durant les premières années, la période d’activité de la
flottille démarrait au début du mois de mai par l’armement des navires. Les départs s’échelonnaient ensuite sur les deux premières semaines de
juin. Une fois la campagne d’été terminée, les navires étaient désarmés
et passaient en général à l’abri dans le port du Fret.
Les premières années de ce nouveau métier semblant
avoir donné des résultats satisfaisants, plusieurs propriétaires-armateurs décidèrent de faire fonctionner les navires durant l’année
entière. Plusieurs d’entre eux subirent de profondes transformations, ils
furent équipés de chambres froides et de moteurs. Ces moteurs n’étaient
pas très puissants, bien sûr (quelques dizaines de chevaux), mais
cependant le doublage voile/moteur leur a permis
d’écourter les temps de route, et l’installation du froid a énormément
amélioré la conservation du poisson et a permis de ramener à terre des
tonnages beaucoup plus importants.
Le fait de ramener à terre du poisson mieux conservé a été un des atouts majeurs en ce qui concerne la rentabilité des navires.
À
l’époque, avant que le poisson ne soit débarqué, le navire recevait la
visite d’une personne (une femme en l’occurrence) que l’on avait
coutume d’appeler Mme la commissaire. Celle-ci était le personnage de
confiance de la direction de l’usine. Le rôle de ce personnage fort
autoritaire était d’évaluer la fraîcheur de la cargaison : elle pouvait
refuser une partie ou même la totalité de la pêche en fonction de son état. Sa décision étant sans appel. Il s’est produit bien souvent de violents
coups de gueule entre le patron et Mme la commissaire sans pour
cela que sa décision ne change. Ce problème de mauvaise qualité se
produisait parfois lors que les navires démunis de chambre froide
traversaient des zones de brume ou d’orage, très néfastes à la
conservation, ce qui a malheureusement valu à nombre d’équipages de
rentrer à la maison les poches vides au bout de plusieurs semaines de
campagne.
Les résultats obtenus suite à la modernisation de la flottille
ont eu pour effet de voir la mise en chantier de plusieurs bateaux neufs.
Ainsi l’Yvette fut construit au chantier Keraudren à Camaret en
1935, puis le Reder ar Moriou construit au chantier Tertu au Fret en
1937, suivi par le Charles le Goffic construit par le même chantier
en 1938, et enfin le Breiz-Atao construit au chantier Keraudren à
Camaret en 1938.
Les navires les plus récents furent alors utilisés tout au long
de l’année. Durant la période d’hiver, ils pratiquèrent la pêche au
maquereau au large (filets). Ces campagnes débutaient vers la mi-novembre au large des côtes d’Angleterre pour se terminer vers la mi-avril au large de Penmarc’h.
Tout semblait bien se passer mais malheureusement la déclaration de guerre vint brutalement
rompre cet élan...
Bernard Fabien
(merci à Françis Guillouroux, Tanguy Drévillon, Alain Ménesguen,
Joseph Ménesguen et Maurice Drévillon)

Si le sujet vous intéresse, rendez-vous sur thoniers.free.fr, site auquel collabore Bernard Fabien, et sur lequel vous trouverez photos, histoire et caractéristiques détaillées de chacun des thoniers de Morgat.
NOTE
1. Thomas Widemann, du site thoniers.free.fr explique :
Il a fallu créer une glissière en bois suiffé pour le faire glisser à la marée basse jusqu'à un endroit de la plage où la mer puisse le faire flotter à marée montante. Il lui a également fallu, pour mener à bien cette opération, réquisitionner une bonne partie des bras de Morgat pour faire glisser cette masse de bois jusqu'à l'endroit propice à la flottaison. ↑