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1838
        La maison jetée par la fenêtre (extraits)

d'Édouard Corbière

 


portrait d'Edouard Corbière

   Edouard Corbière (1793-1875), marin, journaliste et écrivain brestois (père de Tristan Corbière) a écrit de nombreux romans, nouvelles et poésies ayant pour cadre la marine.

      La nouvelle suréaliste ci-dessous, extrait du recueil "Les folles-brises" (1838, Tome 2), met en scène Camaret, M. le maire, et une certaine maison sur le port...

 

 

Quatre capitaines de corsaires, aussi avantageusement connus dans tous les ports de la Manche par leurs exploits sur mer que par leurs fredaines à terre, se trouvaient ensemble de relâche à Camaret, petit port que la Providence a jeté à quelques lieues de Brest pour la plus grande commodité des caboteurs en temps de paix et la plus grande jubilation des corsairiens en temps de guerre.

Certain jour, que le plus copieux déjeuner que l'on pût faire alors dans le pays avait réuni nos quatre relâcheurs dans la seule auberge que possédât la bourgade, ils se mirent, les aventuriers, à causer de leurs folies passées et à vivre, comme on dit, de souvenirs, pour se consoler de la vie inoccupée qu'ils étaient condamnés à mener pour le moment à Camaret.

[...]

Tout cela n'est pas mal sans doute, dit gravement le capitaine Nivelle après avoir prêté une oreille attentive au récit de chacun de ses camarades. Moi j'ai fait aussi des miennes, en débarquant par ci par là des garçons de billard et des billards même dans la rue, en faisant scier une fois tous les arbres du jardin d'un de nos armateurs, qui nous avait volé sa maison de campagne sur nos parts de prise, et en enlevant une autre fois, en course, un commissaire de marine que j'avais grisé à mort à mon bord avec de la liqueur de madame Amphoux; mais toutes ces bêtises, qu'on s'amuse à faire à terre par désœuvrement, ne sont rien au prix du projet de bamboche que j'ai toujours eu en tête depuis que je me suis vu en âge de penser un peu sérieusement à quelque chose.

Et n'y aurait-il pas moyen de savoir ton projet ? demandèrent en même temps tous les autres capitaines.

Si, certainement, répondit Nivelle ; mais il faut avant tout vous dire que c'est presque un problème de mathématiques. Il s'agirait, pour arriver à faire la chose en question, de trouver comment il serait possible d'envoyer une maison par la fenêtre. Je vous avertis d'abord que, jusqu'à ce que j'en aie le cœur net, je ne serai jamais tranquille avec le chapitre des bonnes farces à expédier.

Jeter une maison par la fenêtre, reprit l'amiral Stop d'un air méditatif... Il faudrait premièrement, pour cela, avoir une maison.

Pardieu ! ce n'est pas là le plus crochu, ajouta le capitaine Le Doux. Et puis, ayant la maison, il faudrait après avoir une grande fenêtre. L'un et l'autre peuvent se trouver réunis ensemble.

Oui ; et, une fois qu'on aurait la maison et la fenêtre, il n'y aurait plus qu'à les jeter l'une par l'autre. Mais voilà justement le hic.

Attendez, s'écria à ces derniers mots l'amiral Stop, m'y v'la ! Le maire de la ville de Camaret m'a confié hier, en bêtifiant avec moi, qu'il avait à vendre une vieille cassine abandonnée qui fait face de travers à la partie sud-ouest de la rade... Tenez, vous voyez d'ici la turne du municipal... Allons-y tout de suite, pour voir si avant la nuit nous aurons le temps de la déménager, en débarquant toute sa carcasse par la croisée ou la lucarne du milieu de son espèce de premier étage.

Oui, mais si auparavant nous achetions la maison, proposa Nivelle, l'auteur du projet, pour avoir le droit de la consommer ensuite à notre fantaisie ?

Où serait la farce alors ? fit observer l'amiral Stop. Nous lui payerons, après, le charivari un peu plus cher peut-être; mais la mer est grande, l'Anglais est là, et il nous remboursera les frais de démolition; Allons, courons de l'avant, car nous n'avons pas de temps à perdre pour faire un peu gentiment les choses.

C'est cela, bien dit ! s'écrièrent les trois autres lurons. Une dernière larme de punch au ratafia, et le cap en route pour enlever la case à nègre de monsieur le maire à l'abordage, et couler vitement notre prise par le fond !

En moins d'un quart d'heure la tranquille maison du plus haut fonctionnaire public de Camaret fut escaladée par les quatre corsaires. Le toit ardoisé de la masure tomba d'abord sur le premier étage ébranlé ; puis après la chute du toit vint celle des murs latéraux, qui allèrent se replier et s'écrouler sur les décombres entassés du faîte dispersé de l'édifice. Tout Camaret, attiré par le bruit de ce sac improvisé, accourut sur le port. Le maire du lieu, appelé lui-même sur le théâtre de l'événement par la clameur publique, s'avança pour se distinguer d'abord, comme c'est toujours la règle, et pour demander ensuite, sanglé de son écharpe tricolore, ce que prétendaient faire les exterminateurs de sa propriété.

Tu le vois bien, loffia : la jeter par la fenêtre, ta propriété malpropre, lui répondirent les démolisseurs.

Mais qui me payera ma maison ? demanda encore le magistrat, visiblement ému, en sa qualité de propriétaire et de fonctionnaire, du spectacle d'un pareil attentat.

Qui te la payera, dis-tu ? Nous autres.

Et quand encore, messieurs ?

Quand nous l'aurons coulée par le fond ; et si tu as peur, tiens, en attendant, voilà un à-compte.

Et en parlant ainsi les dévastateurs infernaux envoyaient sur les jambes vacillantes et sur la tête auguste de l'autorité compétente les poutres, les solives et les pans de mur qu'ils faisaient pleuvoir par la seule fenêtre qu'ils eussent laissée encore intacte sur la façade de la pauvre maison. Les quatre sapeurs travaillèrent si fort et si méchamment bien à leur œuvre de destruction que, deux heures avant la chute du jour, il ne restait plus à la place où fut la propriété de M. le maire que la croisée par laquelle toute la propriété avait été délogée en détail. Leur besogne se trouva terminée enfin avant le jour; et, les derniers rayons du soleil mourant n'éclairèrent plus que les décombres de la bâtisse dont les premières gerbes lumineuses du matin avaient blanchi le paisible faîte.

Ce fut alors sur des ruines qu'il fallut s'entendre et parlementer avec le magistrat dépossédé si violemment d'un de ses fiefs urbains. L'arrangement, ou plutôt le traité de paix, ne fut pas long à conclure. Le capitaine Nivelle, en remettant sur ses épaules velues sa veste, toute couverte encore de la glorieuse poussière du saccage, demanda au maire :

Combien te faut-il, gros pleurnicheur, pour ton défunt grenier à punaises ?

Ma maison, dit en balbutiant le maire, valait sept mille écus comme un sou.

On ne te demande pas ce qu'elle valait, on désire seulement savoir ce que tu en veux, pour le service que nous avons rendu à la ville en te la rasant comme un ponton.

Mais il me semble qu'en vous la faisant payer cinq mille écus, ce ne serait pas trop pour vous.

Cinq mille écus, c'est à peu près quatre mille francs pour chacun de nous : tu les auras ce soir ; je te les donne sur parole; et avec nous, tu le sais bien, la parole vaut mieux que le jeu... Mais à une condition cependant.

Et laquelle, s'il vous plaît, mes braves amis du bon Dieu ?

C'est que jamais, tant que nous vivrons, on ne fera bâtir rien à la place de cette fenêtre, et que nous pourrons faire mettre sous la susdite : Maison envoyée par la fenêtre, par quatre capitaines de corsaires, dans la journée du 21 décembre, etc. L'affaire est-elle dite et conclue, gros paria ?

Oui, puisque vous le voulez, mes bonnes gens.

Eh bien, c'est cela ! cria Nivelle aux assistants émerveillés... Vive le maire de Camaret et toute sa sainte boutique !... Enlevez à présent le reste... Tout est rasé, payé, et voilà ma farce faite !

Sources et liens

- Les folles-brises, (ed. Werdet, Paris) : Tome 1 - Tome 2 sur Gallica

- Edouard Corbière sur Wikipedia

- Oeuvres d'Édouard Corbière à acheter en ligne sur le site de la Découvrance

 

 

 

 

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